Par une décision 12 juillet 2023 qui a fait grand bruit dans le monde des assurances, le Conseil d’État a ouvert la possibilité pour les personnes publiques, dans le cadre de leurs marchés publics d’assurances, de s’opposer à la faculté de résiliation annuelle du contrat par l’assureur, tout en lui imposant de poursuivre l'exécution du contrat.
Sur ce fondement, le cabinet a obtenu du Tribunal administratif de Marseille, saisi en référé mesures-utiles (article L.521-3 du Code de justice administrative), à ce qu’il soit enjoint à un assureur, qui souhaitait résilier le marché portant sur la police d’assurance « dommages aux biens », de poursuivre intégralement l’exécution des prestations auxquelles elle est obligée par le marché pour la durée nécessaire au déroulement d’une procédure de passation d’un nouveau marché d’assurance, et au plus tard jusqu’au 31 décembre 2024.
Dans un contexte d’augmentation de la sinistralité pour les collectivités publiques, face aux évènements climatiques ou sociaux (l’on pense par exemple aux dégradations dues aux émeutes) bon nombre d’assureurs ne s’estiment pas en mesure de couvrir les dommages constatés et pour lesquels les collectivités sont, le plus souvent, assurées par une police d’assurance pour les dommages aux biens.
C’est ainsi que de nombreuses collectivités territoriales ont reçu cette année un courrier les informant d’une augmentation significative des primes, voire d’une baisse des garanties et du périmètre des biens assurés. Le dilemme était clairement annoncé par les assureurs : accepter cette hausse ou, à défaut, subir la résiliation unilatérale de son contrat d’assurance…
Le débat juridique était le suivant : l’article L.113-12 du Code des assurances offre à l’assureur la faculté de résilier unilatéralement et annuellement le contrat, sous réserve d’un préavis d’a minima deux mois. Pour autant, cette possible résiliation annuelle n’apparaît pas compatible avec la commande publique et notamment les motifs d’intérêt général qu’elle vise à préserver, notamment la continuité du service public.
C’est pourquoi, le Conseil d’État a considéré, dans une décision « Grand Port Maritime de Marseille » du 12 juillet 2023, que lorsque l'assureur entend faire application de cette faculté de résilier chaque année et unilatéralement le marché qui le lie à la personne publique assurée, cette dernière peut, pour un motif d'intérêt général, s'y opposer et lui imposer de poursuivre l'exécution du contrat.
Cette faculté d’opposition par la personne publique, et surtout d’injonction à la poursuite du contrat en dépit de la volonté de l’assureur, suppose néanmoins de réunir quatre conditions cumulatives :
- La personne publique doit invoquer un motif d'intérêt général tiré notamment des exigences du service public dont la personne publique a la charge ;
- Le contrat ne doit pas prévoir de préavis de résiliation suffisant pour passer un nouveau marché public d'assurance
- La personne publique ne peut imposer la poursuite de l'exécution du contrat que pour une durée strictement nécessaire au déroulement de la procédure de passation d'un nouveau marché public d'assurance ;
- Cette durée ne peut, en toute hypothèse, excéder 12 mois et ce, même si la procédure s'avère infructueuse.
Jurisprudence appliquée par le Tribunal administratif de Marseille qui était saisi en ce sens par le cabinet au profit d’une collectivité territoriale cliente : pas de résiliation, d’auto-assurance (qui en cas de sinistre important mettrait en grave danger les finances locales…) ni d’augmentation significative des primes en cours d’exécution.
À l’inverse, l’assureur doit rester lié par le marché en cours, aux prix stipulés, jusqu’à ce qu’un nouveau marché sur le même objet soit attribué, avec comme échéance maximale le 31 décembre 2024.
Les personnes publiques ne sont ainsi plus désarmées face à leurs assureurs. C’est tout le contraire : dans le combat en cours avec leurs assureurs, elles viennent de gagner un second round successif !