Par une décision du 8 décembre 2020 (n°440704), le Conseil d’Etat a indiqué que la circonstance qu'un opérateur économique évincé ait déjà exercé deux référés précontractuels au cours desquels il aurait pu soulever le manquement dont il se prévalait, ne fait pas obstacle à ce qu'il forme un nouveau référé précontractuel tant que le délai de suspension de la signature du contrat n'est pas expiré. La palette d’outils à disposition du juge du référé ne fait cependant pas obstacle à ce que ce dernier procède au rejet de la requête sans contradictoire, ou à ce qu’il applique éventuellement une amende pour recours abusifs.
1. Présentation d’une succession de requêtes en référé précontractuel : une faculté possible aussi longtemps que le contrat n’a pas été signé
« Combien de fois un candidat évincé de l’attribution d’une concession peut-il parvenir à former des référés précontractuels ? », telle est la teneur du problème de droit résumé par M. Pichon de Vendeuil, rapporteur public dans l’affaire qui a été présentée au Conseil d’Etat par la société Pompes funèbres Funérarium Lemarchand (« PFFL »).
La société PFFL, candidate évincée de l’attribution du contrat, avait alors entrepris l’exercice de deux référés précontractuels infructueux suivis d’un troisième référé invoquant un nouveau manquement, hélas écarté comme irrecevable en raison de la signature du contrat de concession – avant expiration du délai de suspension de signature – par le pouvoir adjudicateur.
Pour rappel la signature prématurée du contrat rend la requête irrecevable (CE, sect., 3 nov. 1995, CCI de Tarbes et des Hautes-Pyrénées, 157304CE) et prive ainsi irrégulièrement la société de son droit au recours.
Or le caractère irrégulier de cette signature prématurée ne saurait être atténué par la circonstance que la société requérante avait déjà entrepris deux fois l’exercice d’un référé précontractuel. Comme l’indique le rapporteur public : « si nous pouvons comprendre, en l’espèce, les sentiments qui ont inspiré cette solution [du juge de première instance], il nous semble qu’un tel motif ne peut fonder en droit la position du juge des référés ».
Ainsi le Conseil d’Etat retient que « en statuant ainsi, alors que la circonstance que la société évincée avait déjà exercé deux référés précontractuels au cours desquels elle aurait pu soulever le manquement dont elle se prévalait, ne faisait pas obstacle à ce qu'elle forme un nouveau référé précontractuel tant que le délai de suspension de la signature du contrat n'était pas expiré, l'auteur de l'ordonnance attaquée a commis une erreur de droit » (point 7).
2. Information du pouvoir adjudicateur
Le pouvoir adjudicateur ayant été informé du sens de l'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif par son avocat, auquel cette ordonnance avait été notifiée, avant de signer le contrat litigieux, doit être regardé comme en ayant reçu notification au sens et pour l'application de l'article L. 551-4 du code de justice administratif.
Dans ces conditions, il ne peut se prévaloir de l’ignorance de l’exercice d’un référé précontractuel et opposer une fin de non-recevoir pour ce motif.
3. Une succession de requête traitées efficacement par le juge administratif
Face à des requêtes multiples en référé précontractuel, le juge du référé dispose d’outils permettant de gérer efficacement le flux, parfois au détriment du requérant : ainsi celui-ci peut valablement constater que la requête est manifestement irrecevable ou infondée et la rejeter par une ordonnance sans tenir d’audience publique (article L. 522-3 du code de justice administrative).
Ces « ordonnances de tri » sont également envisageables lorsque le juge constate que la requête n'a pas ou plus d'objet du fait de la signature du contrat (CE, 7 mars 2005, Société Grandjouan-Saco, n°270778, Rec.).
En raison du contexte sanitaire, le périmètre de ces ordonnances de tri a été élargi : « outre les cas prévus à l'article L. 522-3 du code de justice administrative, il peut être statué sans audience, par ordonnance motivée, sur les requêtes présentées en référé. Le juge des référés informe les parties de l'absence d'audience et fixe la date à partir de laquelle l'instruction sera close. » (ordonnance n°2020-1402 du 18 novembre 2020, article 3).
Enfin, le juge peut également infliger une amende pour recours abusif, en application de l’article R. 741-12 du code de justice administrative.
En définitive, les candidats évincés d’un contrat de la commande publique ont tout de même intérêt, en matière contentieuse, à privilégier la qualité à la quantité.
CE, 8 décembre 2020, société Pompes funèbres Funérarium Lemarchand (PFFL), n° 440704.