Le Conseil d’état par arrêt n°451710 en date du 9 mai 2023, vient de préciser le point de départ du délai de prescription du recours en responsabilité du fait de pratiques anticoncurrentielles lorsqu’elles sont commises dans le cadre de marchés publics par les organes dirigeants de la personne publique qui en est victime.
Dans le cas d’espèce, une région a été lésée par les pratiques anticoncurrentielles exercées par plusieurs sociétés attributaires ainsi que notamment par des élus, dont le président du conseil régional, lors de l’exécution des multiples marchés passés par elle pour la rénovation et la reconstruction des lycées dont elle a la charge. Plusieurs d’entre eux ont été condamnés pénalement mais aussi par le Conseil de la concurrence à réparer le préjudice moral subi du fait de ces pratiques par la région.
Après changement de ses membres dirigeant, cette dernière a engagé une action en responsabilité afin de se voir indemniser le préjudice matériel également subi. Cette action ayant été jugée comme relevant de la compétence administrative, elle a alors saisi le tribunal administratif en ce sens.
Celui-ci a rejeté son recours considérant que celui-ci était prescrit. La région a donc formé un appel devant la Cour administrative d’appel qui a réformé ce jugement et condamné plusieurs sociétés à hauteur des deux tiers du préjudice subi par la région, retenant une part de responsabilité pour la région.
Plusieurs pourvois sont formés par les sociétés condamnées ainsi que la région qui conteste sa responsabilité partielle.
Les pourvois sont joints par le juge suprême qui examine dans un premier temps la question de la prescription de l’action initialement intentée par la région avant d'évaluer la part de responsabilité liée à l'affaire.
Se fondant sur les dispositions du code civil[1] en matière de prescription de l’action civile et sur celles du code de commerce[2] relative à l’action en dommages et intérêts du fait de pratiques anticoncurrentielles, le Conseil d’État après en avoir déduit que «s'appliquent, depuis l'entrée en vigueur de l'ordonnance du 9 mars 2017 relative aux actions en dommages et intérêts du fait des pratiques anticoncurrentielles, les dispositions de l'article L. 482-1 du code de commerce », considère que « le délai de prescription qu'elles prévoient ne peut commencer à courir avant la date à laquelle la personne publique a eu connaissance de manière suffisamment certaine de l'étendue des pratiques anticoncurrentielles dont elle a été victime de la part des titulaires des marchés. Dans l'hypothèse où le préjudice de la personne publique résulte de pratiques auxquelles ses organes dirigeants ont participé, de sorte qu'en raison de leur implication elle n'a pu faire valoir ses droits à réparation, la prescription ne peut courir qu'à la date à laquelle, après le remplacement de ses organes dirigeants, les nouveaux organes dirigeants, étrangers à la mise en œuvre des pratiques anticoncurrentielles, acquièrent une connaissance suffisamment certaine de l'étendue de ces pratiques ».
De ce principe et des faits d’espèce, il juge que la région n’avait pas une connaissance suffisamment certaine de l'étendue des pratiques anticoncurrentielles dont elle a été victime avant la décision rendue par le Conseil de la concurrence, de sorte que la prescription décennale de l’action en réparation du préjudice matériel n’a commencé à courir qu’à compter de cette dernière et qu’elle n’était, en conséquence, pas prescrite.
Le juge suprême par cette décision, érige la décision du conseil de la concurrence comme un point de départ référent pour déterminer la connaissance suffisamment étendue de la victime permettant de faire courir la prescription de l’action en dommages et intérêts du préjudice subi du fait de pratiques anticoncurrentielles et notamment lorsque ces faits ont été commis par un membre de l’organe dirigeant de la personne publique victime.
S’agissant des responsabilités, le Conseil d’État confirme l’arrêt de la cour administrative d’appel qui a, selon lui, a juste titre retenu un lien direct entre l’éventuel surcoût supporté par la région et l’entente anticoncurrentielle à laquelle les sociétés retenues responsables ont participé, ainsi que l’exonération d’un tiers de leur responsabilité dans la mesure où « les fautes commises par les personnels de la région n'étaient pas détachables du service ».
[1] Articles 2270-1 et 2224 du code civil.
[2] Articles L.481- 1 et L.482-1 du code de commerce