Par un arrêt du 20 novembre 2020, le Conseil d’Etat a précisé l’articulation des voies de recours ouvertes aux tiers s’agissant, en particulier, des avenants aux contrats de la commande publique. Les avenants conclus après le 4 avril 2014 sont susceptibles de faire l’objet d’un recours en pleine juridiction par tout tiers intéressé, même s’ils se rapportent à des contrats antérieurs à cette date. A l’inverse, la contestation des avenants signés avant le 4 avril 2014 demeure régie par la voie du recours pour excès de pouvoir contre les actes détachables.
1. La jurisprudence Tarn-et-Garonne est applicable aux avenants des contrats signés après le 4 avril 2014
A l’occasion d’une affaire relative à la prolongation d’une concession de service public de distribution d’eau potable conclue en 1992, la haute juridiction a appliqué sa jurisprudence Commune d’Olivet (CE, 8 avril 2009, Commune d’Olivet, n° 271737, Lebon) après avoir doublement clarifié la question de l’articulation des voies de recours ouvertes aux tiers.
Dans cette affaire, l’association requérante avait souhaité entre autres contester la délibération approuvant la conclusion d’un avenant n°9 intervenu en 2012, et ayant pour objet d’ajuster certaines modalités d’exécution, notamment financières, de la concession dont le terme est prévu le 31 décembre 2021.
A défaut d’autre voie de recours, l’association requérante avait exercé un recours en excès de pouvoir tendant à l’annulation de cette délibération constitutive d’un acte détachable du contrat, conformément à une jurisprudence plus que séculaire (CE, 4 août 1905, Martin, n° 14220, Lebon).
Par la suite, la mise en œuvre de la nouvelle voie de recours dégagée par la haute juridiction dans son arrêt Tarn-et-Garonne (CE, Ass., 4 avril 2014, Département du Tarn-et-Garonne, n° 358994, Lebon) tendait à déplacer le contentieux des tiers intéressés vers le juge du plein contentieux en leur offrant la possibilité de contester directement la validité du contrat.
Cette architecture contentieuse rénovée a toutefois soulevé deux interprétations alternatives s’agissant des avenants aux contrats en cours. Faut-il laisser subsister le contentieux des actes détachables des avenants signés postérieurement à la date de lecture de cette décision, mais se rapportant à des contrats en cours ?
Pour rappel, cette solution avait été dégagée en les termes suivants :
« Considérant qu'il appartient en principe au juge d'appliquer les règles définies ci-dessus qui, prises dans leur ensemble, n'apportent pas de limitation au droit fondamental qu'est le droit au recours ; que toutefois, eu égard à l'impératif de sécurité juridique tenant à ce qu'il ne soit pas porté une atteinte excessive aux relations contractuelles en cours, le recours ci-dessus défini ne pourra être exercé par les tiers qui n'en bénéficiaient pas et selon les modalités précitées qu'à l'encontre des contrats signés à compter de la lecture de la présente décision ; que l'existence d'un recours contre le contrat, qui, hormis le déféré préfectoral, n'était ouvert avant la présente décision qu'aux seuls concurrents évincés, ne prive pas d'objet les recours pour excès de pouvoir déposés par d'autres tiers contre les actes détachables de contrats signés jusqu'à la date de lecture de la présente décision » (CE, Ass., 4 avril 2014, Département du Tarn-et-Garonne, précité, point 5).
Bien que saisi de la contestation d’actes détachables se rapportant à des avenants antérieurs à la jurisprudence Tarn-et-Garonne, le Conseil d’Etat a profité de l’occasion pour clarifier la question au moyen d’un obiter dictum de portée générale : « Dans le cas où est contestée la validité d'un avenant à un contrat, la détermination du régime de la contestation est fonction de la date de signature de l'avenant, un avenant signé après le 4 avril 2014 devant être contesté dans les conditions prévues par la décision n° 358994 quand bien même il modifie un contrat signé antérieurement à cette date » (CE, 20 novembre 2020, Association Trans’Cub et autres, n° 428156, point 2).
En l’espèce, les avenants contestés par l’association requérante étant antérieurs au 4 avril 2014, c’est donc bien la voie de recours contre les actes détachables du contrat qui trouvait à s’exercer (CE, 4 août 1905, Martin, précité).
2. La délibération approuvant un contrat est dépourvue de caractère réglementaire et créatrice de droits
S’agissant en l’espèce d’un avenant conclu avant la jurisprudence Tarn-et-Garonne précitée, l’association requérante a ainsi soulevé une série de moyens propres à la contestation des actes détachables de ces avenants. Ainsi à l’appui des conclusions d’annulation de la délibération autorisant la signature de l’avenant ainsi que de la décision de signer celui-ci – qui constituent tout deux des actes détachables – l’association a soulevé un moyen tiré de l’exception d’illégalité de délibérations plus anciennes encore, datant de 2006 et 2009.
La circonstance que ces délibérations étaient devenues définitives faisant en principe obstacle à la recevabilité de ce moyen, l’association a entendu se prévaloir de ce que la recevabilité d’un tel moyen est ouverte de manière perpétuelle à l’égard des actes réglementaires (CE, 29 mai 1908, Poulin, n° 25488, Lebon).
Or, les délibérations approuvant un avenant contenant des clauses réglementaires constituent-elles nécessairement des actes réglementaires ?
Confirmant l’analyse de la Cour administrative d’appel, le Conseil d’Etat a rejeté ce moyen en considérant que : « d'une part, une délibération approuvant un contrat de concession et autorisant le maire à le signer est dépourvue de caractère réglementaire, sans qu'ait à cet égard d'incidence la circonstance que le contrat approuvé comporte des clauses revêtues d'un caractère réglementaire. D'autre part, une telle délibération crée des droits au profit du concessionnaire. » (CE, 20 novembre 2020, Association Trans’Cub et autres, précitée, point 4).
Il a ainsi fait application d’une jurisprudence constante estimant que, en dépit de l’existence de stipulations réglementaires, l’acte d’approbation d’un contrat se rapporte à une personne déterminée et n’a dès lors pas le caractère d’un acte réglementaire (CE, 23 juillet 1993, Compagnie générale des eaux, n° 138504, Lebon ; 13 juin 1997, Société des transports pétroliers par pipe-line, n° 167907, Lebon ; 29 décembre 1997, Mme B..., n° 170822, Tables).
Enfonçant le clou, le Conseil d’Etat a par ailleurs rappelé que ces actes sont créateurs de droit et qu’à la suite de l’expiration d’un délai de quatre mois, ils ne peuvent être retirés par l’autorité compétente, conformément à la jurisprudence Ternon (CE, Ass., 26 octobre 2001, Ternon, n° 197018 ; depuis lors codifiée à l’article L. 242-1 du code des relations entre le public et l'administration). Plus précisément, l’affaire commentée réitère l’application de cette jurisprudence aux actes d’approbation d’un contrat (CE, 26 mars 2001, Association pour la gratuité de l’autoroute A8, n° 202209, Tables).
3. Le recours contre la décision de prolongation n’a pas le même objet que le recours contre le refus de résiliation du contrat
En bout de course, la collectivité défenderesse a présenté une demande de substitution de motif tendant à ce que soit opposée à la requérante une exception de voie de recours parallèle, dès lors que sa demande tendrait à mettre fin à l’exécution du contrat et relèverait ainsi de la jurisprudence Transmanche. A cet effet, le juge avait en effet indiqué que tiers à un contrat est recevable à exercer un recours de pleine juridiction contre le refus de faire droit à une demande de mettre fin à l’exécution du contrat (CE, Sect., 30 juin 2017, Syndicat mixte de promotion de l’activité Transmanche (SMPAT), n° 398445).
Eu égard à sa finalité comparable, l’affaire débattue devait-elle être assimilée à un recours Transmanche, relevant du seul juge du plein contentieux ?
La comparaison proposée par la partie défenderesse pouvait en effet apparaitre séduisante, d’autant que le recours Transmanche peut avoir pour objet la résiliation d’une concession dont la durée excède la durée légale, cette circonstance constituant un motif d’intérêt général justifiant sa résiliation unilatérale (CE, 7 mai 2013, Société auxiliaire de parcs de la région parisienne, n° 365043, Lebon) et qui devrait en outre, comme l’indiquait le rapporteur public Pellissier, être soulevé d’office par le juge (conclusions sur CE, 30 juin 2017, Syndicat mixte de promotion de l’activité Transmanche (SMPAT), précité, page 9).
En dépit de l’intérêt de cette question, la réponse du juge est indubitablement négative : bien que leur finalité puisse être comparable, la demande d’annulation d’une décision approuvant la prolongation d’un contrat n’a pas en elle-même pour objet, contrairement à l’hypothèse Transmanche, de mettre immédiatement fin à l’exécution du contrat (arrêt commenté, point 10).
En outre, le recours en excès de pouvoir vise uniquement l’acte approuvant la prolongation et se trouve enfermé dans un délai de recours qui lui est propre, tandis que le recours Transmanche peut être introduit uniquement à la suite du rejet d’une demande préalable émanant de l’initiative du tiers d’une part, et pouvant être présentée par ce dernier à tout moment de l’exécution du contrat d’autre part.
La position n’est pas dépourvue de complexité dès lors que le recours Transmanche peut tendre à ce que soit mis fin l’exécution d’un contrat prolongé par avenant, à la suite de la forclusion d’un recours pour excès de pouvoir visant l’acte détachable approuvant cet avenant, voire concomitamment à l’exercice de celui-ci.
Après introduction d’une demande préalable en ce sens, l’association aurait-elle en effet été recevable à agir parallèlement devant le juge du plein contentieux au moyen d’un recours Transmanche ? Comme l’énonçait M. Bertrand Da Costa, l’architecture de la jurisprudence Tarn-et-Garonne aspire à « déplacer l’intégralité du débat contentieux devant le juge du contrat, quel que soit le tiers concerné, de telle sorte qu’aucune autre voie contentieuse ne puisse prospérer une fois le contrat signé » (B. Da Costa, conclusions sur CE, Ass., 4 avril 2014, Département du Tarn-et-Garonne, n° 358994, Lebon, page 9).
Ainsi en matière de commande publique et à l’exception du cas précis relevant de l’affaire commentée, le recours en excès de pouvoir contre les actes détachables semble à ce jour subsister uniquement pour :
- les actes d’approbation du contrat, sous réserve de soulever des moyens tirés de vices propres à l'acte d'approbation, et non des moyens relatifs au contrat lui-même (CE, 23 décembre 2016, Association ASSECO-CFDT du Languedoc-Roussillon, n° 392815) ;
- les clauses réglementaires du contrat (CE, Ass., 10 juillet 1996, Cayzeele, n° 138536, Lebon ; 30 juin 2016, Syndicat des compagnies aériennes autonomes, n° 393805) ;
- les actes de formation des contrats de droit privé (CE, 27 octobre 2015, M. A…, n° 386595).
Il convient de relever que pour l’affaire commentée, la contrariété résulte de la spécificité du régime transitoire prévu dans la jurisprudence Tarn-et-Garonne, celui-ci trouvant encore à s’appliquer dans l’exécution de certains contrats de longue durée dont la conclusion est antérieure au 4 avril 2014, mais restant voués à disparaitre.
4. L’application de la jurisprudence Commune d’Olivet renvoyée à l’appréciation des juges du fond
Au fond, l’association requérante a fait valoir que la délibération contestée permettait de prolonger la durée de la concession en méconnaissance des dispositions de la loi du 29 janvier 1993, dans sa rédaction postérieure à la loi du 2 février 1995, telle qu’interprétée par la jurisprudence Commune d’Olivet (précitée).
Cette jurisprudence définissait un régime transitoire pour les concessions de service public en cours, en précisant que ces contrats ne pouvaient excéder une durée de 20 ans, sauf examen préalable par le directeur départemental des finances publiques, à l’initiative de l’autorité délégante, des justificatifs de dépassement de cette durée, lesquels désignent le plus souvent la nécessité d’amortir les installations qui étaient déjà mises en œuvre. Précision importante, cette durée de 20 ans s’appréciait à compter de la loi du 2 février 1995 et expirait ainsi en février 2015.
En l’espèce, et en dépit de la rédaction de la délibération attaquée – qui ne mentionnait pas explicitement la prolongation de la concession – la Haute juridiction a déduit des termes de celle-ci (notamment l’approbation d’une nouvelle grille tarifaire pour 5 ans) qu’elle avait nécessairement pour objet une prolongation du contrat, infirmant l’analyse de la Cour administrative d’appel sur ce point.
Pour ce motif, l’arrêt a annulé la décision de la CAA de Bordeaux mais a procédé au renvoi de l’affaire devant cette même juridiction, qui devra ainsi prendre soin d’examiner si la prolongation litigieuse était, in fine, légale.
Si la concession conclue il y a près de 30 ans devrait inéluctablement arriver à son terme, le débat judicaire promet en revanche d’être prolongé.
CE, 20 novembre 2020, Association Trans’Cub et autres, n° 428156.