Par un arrêt Centre Hospitalier d’Avignon du 3 juin 2020[1], le Conseil d’Etat est venu apporter des « précisions » concernant le point de départ du délai de recours en contestation de la validité d’un contrat administratif, baptisé par la pratique « Recours Tarn-et-Garonne ».
Depuis le célèbre arrêt Département de Tarn-et-Garonne du 4 avril 2014[2] – voire depuis l’arrêt Société Tropic Travaux Signalisation[3] pour les concurrents évincés – il est acquis que le recours en contestation de la validité du contrat doit être exercé « dans un délai de deux mois à compter de l’accomplissement des mesures de publicité appropriées ».
Depuis 2007, la Haute juridiction avait précisé cette notion de « mesures de publicité appropriées » en indiquant qu’il pouvait s’agir « notamment » d’un avis mentionnant à la fois (i) la conclusion du contrat et (ii) les modalités de sa consultation dans le respect des secrets protégés par la loi.
Par l’arrêt commenté, le Conseil d’Etat vient préciser que la « la circonstance que l’avis ne mentionne pas la date de la conclusion du contrat est sans incidence sur le point de départ du délai de recours contentieux qui court à compter de cette publication ».
Plus encore, il semblerait que la seule mention de « l’attribution » et non de la « conclusion » du contrat soit finalement suffisante. En effet, le Conseil d’Etat confirme que la publication d’un avis d’attribution conformément aux dispositions du code de la commande publique (et auparavant du code des marchés publics) au Journal Officiel de l’Union européenne et au Bulletin Officiel des Annonces des Marchés Publics constitue une mesure de publicité appropriée susceptible de faire courir le délai de recours contentieux alors même qu’il ne mentionnerait que « l’attribution » et non la « conclusion » du contrat ; la seule indication des coordonnées de la cellule des marchés de l’acheteur constituant quant à elle une « mention » constituant une modalité de la consultation du contrat apparemment suffisante.
Certes, l’interprétation dégagée par les juges du Palais-Royal pourrait être critiquable.
Plus précisément, il n’est pas possible d’estimer que l’attribution et la conclusion du marché constituent deux notions synonymes. Pour s’en convaincre, il suffit de constater que si l’administration peut, généralement sans frais, se désengager d’un marché attribué mais non signé, la conclusion du marché rend impérative la mise en œuvre d’une procédure de résiliation, laquelle peut s’avérer coûteuse.
De surcroît, en matière de recours en contestation de la validité du contrat, cette distinction est cruciale pour le requérant puisque son recours ne sera pas recevable s’il est introduit alors que le contrat est seulement « attribué » et non « signé ».
Aussi, s’il est vrai que le délai de recours ne commence à courir qu’à compter de la publicité, il n’en demeure pas moins que l’information concernant la conclusion du contrat est primordiale.
Cela étant, et en réalité il semblerait que cet arrêt ait principalement pour objet de « rattraper » et neutraliser une différence d’ordre sémantique[4] entre le droit de l’Union européenne et le droit français (ou plus précisément la jurisprudence administrative).
En effet, alors que l’ancienne version des formulaires d’avis d’attribution ne comportait qu’une rubrique intitulée « date d’attribution » du marché, les juridictions administratives considéraient que la publication d’un avis d’attribution constituait le plus souvent une modalité de publicité appropriée, sous réserve qu’il mentionne les modalités de sa consultation dans le respect des secrets protégés par la loi.
Sans se soucier de la distinction, pourtant non négligeable, entre l’attribution et la conclusion, les acheteurs sont s’en légitimement tenus à la publication d’un avis d’attribution suivant le modèle européen.
Aussi, et nous supposons dans un souci de sécurité juridique – ce qui est favorable à l’administration mais moins aux requérants qui pouvaient estimer leurs recours recevables – l’arrêt commenté vient valider l’utilisation desdits formulaires et ce alors même que cela ne serait pas entièrement conforme à la règle de droit précédemment énoncée.
Quoiqu’il en soit, cette difficulté ne devrait plus se poser s’agissant des nouveaux modèles d’avis d’attribution qui prévoient désormais formellement une rubrique intitulée « date de conclusion du marché » (V.2.1).
[1] CE, 3 juin 2020, Centre hospitalier d’Avignon, req. n° 428845, Rec., T.
[2] CE, Ass., 4 avril 2014, Département de Tarn-et-Garonne, req. n° 358994, Rec.
[3] CE, Ass., 16 juillet 2007, Société Tropic Travaux Signalisation, req. n° 291545 ; Rec.
[4] Cette différence est principalement sémantique puisque l’avis d’attribution n’a vocation qu’à être publié postérieurement à la notification du marché, et donc de sa signature par les deux parties.