L’article L.600-7 du Code de l’urbanisme permet aux bénéficiaires d’autorisation d’urbanisme, victimes de recours abusif, d’obtenir réparation du préjudice qu’ils subissent.
La loi ELAN a récemment modifié ces dispositions afin d’en faciliter la mise en œuvre.
Auparavant, le requérant n’était sanctionné que si son droit d’agir était « mis en œuvre dans des conditions qui excèdent la défense (de ses) intérêts légitimes (…) et qui causent un préjudice excessif au bénéficiaire du permis »
Désormais, il peut être condamné à payer des dommages et intérêts si son recours est « mis en œuvre dans des conditions qui traduisent un comportement abusif de (sa part) (…) et qui causent un préjudice au bénéficiaire du permis »
Exit donc la notion de « préjudice excessif » et de « conditions excédant la défense des intérêts légitimes ». Sur ce dernier point, les juridictions avaient naturellement tendance à considérer que lorsque le requérant avait intérêt pour agir, l’action ne pouvait être considérée comme abusive. Cette confusion entre les deux « intérêts » provenant d’une rédaction maladroite du texte.
L’objectif de la loi ELAN était clair, reprenant ainsi les préconisations du rapport Maugüé du 11 janvier 2017 : sanctionner plus efficacement les recours abusifs.
A ce titre, le rapport rappelait notamment que « les conclusions reconventionnelles à fin de dommages et intérêts présentées devant les tribunaux administratifs ont quasiment toutes été rejetées. A ce jour, seuls trois jugements de tribunaux administratifs en ont fait une application positive, dont un seul pour un montant un peu significatif. »
Le législateur ayant opéré le glissement sémantique voulu par le rapport Maugüé, il restait encore à voir comment les juridictions administratives allaient s’approprier la lettre de ce texte réécrit.
Dans un arrêt du 14 mars 2019, La CAA de Versailles est l’une des premières à utiliser cette nouvelle mouture (pour rappel l’article L.600-7 est applicable aux contentieux en cours, comme l’indiquait le Conseil d’État : CE, 18/06/2014, 376 116).
Dans ce contentieux, la SA Auchan sollicitait l’annulation d’un permis de construire un bâtiment à usage commercial délivré à la société Costco France.
Le requérant agissait ici davantage pour éloigner la concurrence que dans un intérêt urbanistique.
De manière fort classique, la Cour rappelait que « l’existence du seul intérêt commercial ne saurait donner intérêt pour agir ».
Les Juges Versaillais rejetteraient donc tout intérêt pour agir à la requérante et s’offraient une voie royale pour la condamner à des dommages et intérêts.
Il n’en fut rien.
La Cour administrative préfère rejeter la demande reconventionnelle formée par le demandeur en considérant que celui-ci ne subit pas de préjudice en lien avec « le comportement abusif attribué à la SA Auchan ».
La Cour ne prend donc pas la peine d’indiquer si, malgré tout, le comportement du requérant pouvait être qualifié d’abusif.
Avec la loi ELAN, le législateur a fourni des armes pour lutter contre les recours abusifs, mais que les requérants indélicats se rassurent : pour l’heure, les juridictions ne mordent pas…
Nicolas CHARREL, avocat associé et Bérenger JACQUINET avocat, Cabinet CHARREL & Associés, Paris, Montpellier, Marseille