Le Tribunal administratif de Toulouse a rendu deux jugements le 27 février 2025 (n° 2303830 et n° 2303544, 2304976, 2305322) par lesquels il annule les arrêtés préfectoraux qui avaient estimé que l’intérêt des projets de l’A69 et de l’A680 caractérisaient une raison impérative d’intérêt public majeur et pouvaient donc permettre une dérogation « espèces protégées ».
Dans ces deux affaires intimement liées, les requérants ont contesté les arrêtés par lesquels les préfets de la Haute-Garonne et du Tarn ont délivré les autorisations environnementales pour la construction de l’autoroute A69 et l’adaptation de l’autoroute A680 sur le fondement de la dérogation « espèces protégées ».
Pour rappel, ce projet d’autoroute A69 reliant Castres à Verfeil est un projet de longue date. Il avait été approuvé dès 1994 par le ministre de l’Équipement, des Transports et du Tourisme. Les travaux de ce projet d’envergure ont débuté en mars 2023 et sont estimés avoir été réalisés à 50%. La somme déjà engagée pour ces travaux est, quant à elle, estimée à 300 millions d’euros.
Le Tribunal administratif de Toulouse a donc été saisi pour se prononcer sur cette affaire épineuse et aux enjeux majeurs.
Tout d’abord, pour rappel, l’article L. 411-1 du Code de l’environnement prévoit les conditions de préservation du patrimoine naturel et des espèces animales non-domestiques.
Ainsi, les travaux, les aménagements, les constructions qui seraient susceptibles d’affecter la conservation d’espèces protégées ou de leurs habitats ne peuvent être autorisés.
Toutefois, une exception à ce principe existe, la dérogation espèces protégées codifiée à l’article L. 411-2 du Code de l’environnement :
« I. – Un décret en Conseil d'État détermine les conditions dans lesquelles sont fixées :
[…]
4° La délivrance de dérogations aux interdictions mentionnées aux 1°, 2° et 3° de l'article L. 411-1, à condition qu'il n'existe pas d'autre solution satisfaisante, pouvant être évaluée par une tierce expertise menée, à la demande de l'autorité compétente, par un organisme extérieur choisi en accord avec elle, aux frais du pétitionnaire, et que la dérogation ne nuise pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle :
[…]
c) Dans l'intérêt de la santé et de la sécurité publiques ou pour d'autres raisons impératives d'intérêt public majeur, y compris de nature sociale ou économique, et pour des motifs qui comporteraient des conséquences bénéfiques primordiales pour l'environnement ; »
Cet article explique que les travaux portant atteinte à la conservation d’espèces protégées et à leurs habitats peuvent être autorisées si trois conditions cumulatives sont réunies :
- si aucune autre solution satisfaisante n’était possible ;
- si la dérogation ne nuit pas au « maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle » ;
- si le projet répond à une raison impérative d’intérêt public majeur (sanitaire, sécuritaire, sociale, économique…) et pour des motifs « qui comporteraient des conséquences bénéfiques primordiales pour l’environnement ».
En l’espèce, le projet impliquait l’altération de cinq spécimens d’espèces végétales, de cent cinquante-sept spécimens d’espèces animales protégées ainsi que de leurs sites de reproduction ou de repos.
Les autorisations pour ces travaux ont été délivrées par arrêtés. Leur motivation était sociale, économique et sécuritaire. En résumé, le projet devait permettre de relancer le développement économique et démographique, de développer l’accessibilité et la sécurité du bassin Castres-Mazamet.
Ces deux projets (A69 et A680) étant étroitement liés, le juge précise que l’appréciation de la raison impérative d’intérêt public majeur doit se faire à l’aune du projet global.
Le Tribunal de Toulouse a estimé que la motivation des arrêtés délivrant la dérogation espèces protégées ne justifiait pas d’une raison impérative d’intérêt public majeur car les intérêts économiques, sociaux et sécuritaires motivant l’arrêté n’étaient pas avérés ou étaient trop limités.
Ces intérêts n’étaient donc pas tels, qu’ils puissent être mis en balance avec les objectifs de conservation des habitats naturels, de la faune et de la flore sauvage.
Le juge conclue donc à l’absence de raison impérative d’intérêt public majeur.
Cette absence n’est pas régularisable, en vertu de l’article L. 181-18 du Code de l’environnement puisqu’elle conditionnait l’ensemble du projet. Les arrêtés d’autorisations environnementales du 2 mars 2023 sont donc annulés, entrainant par voie de conséquence l’arrêt du projet lui-même.
Cette situation ne fait l’affaire de personne puisque, d’un côté, la destruction des espaces naturelles a déjà eu lieu avec les travaux engagés et puisque, de l’autre côté, le projet ne verra pas le jour alors qu’il a déjà coûté environ 300 millions d’euros.
L’État a d’ores et déjà signifié qu’il interjetterait appel. Il y a fort à parier que cette affaire finira, à terme, devant le Conseil d’État.