Nouvelle décision de la CJUE : encadrement strict du recours à la procédure négociée sans publicité préalable
L'article 32 de la directive 2014/24 permet aux États membres d’autoriser les pouvoirs adjudicateurs à attribuer des marchés publics via une procédure négociée sans publication préalable. En droit français, cette faculté est retranscrite aux articles R. 2122-1 et suivants du code de la commande publique.
Toutefois, dans un arrêt rendu le 9 janvier, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a apporté des précisions importantes sur les conditions nécessaires pour justifier le recours à une telle procédure, notamment en cas de droits d’exclusivité.
Ce que prévoit le code de la commande publique
L'article R. 2122-3 du code de la commande publique autorise le recours à un opérateur économique déterminé sans publicité ni mise en concurrence lorsque des droits d’exclusivité – notamment de propriété intellectuelle – rendent impossible le recours à un autre fournisseur. Cependant, cette possibilité est strictement encadrée : elle n’est justifiée que si aucune solution de remplacement raisonnable n’existe et si l’absence de concurrence n’est pas le résultat d’une restriction artificielle des caractéristiques du marché.
Trois conditions strictes posées par la CJUE
La CJUE rappelle que cette procédure doit rester exceptionnelle. Les pouvoirs adjudicateurs doivent privilégier des procédures ouvertes, sauf si :
1. Raisons techniques, artistiques ou liées à des droits d’exclusivité : Ces motifs doivent être directement liés à l’objet du marché.
2. Nécessité absolue : Ces raisons doivent rendre indispensable l’attribution du marché à un opérateur spécifique.
3. Absence d’imputabilité : Le pouvoir adjudicateur doit prouver que la situation d’exclusivité n’est pas due à ses propres actions ou inactions.
Démonstration de l’imputabilité
Pour évaluer l’imputabilité, la Cour invite les juridictions nationales à analyser le comportement de l’acheteur public. Le juge doit vérifier si :
- Un contrat antérieur signé par l’acheteur est à l’origine de la situation d’exclusivité ;
- L’inaction de l’acheteur a contribué à maintenir cette exclusivité jusqu’à la décision de recourir à la procédure négociée.
Ainsi, un pouvoir adjudicateur ne peut invoquer la protection de droits d’exclusivité s’il en est lui-même responsable.
"Un pouvoir adjudicateur est tenu de faire tout ce qui est susceptible d’être raisonnablement attendu de lui pour éviter l’application de l’article 31, point 1, sous b), de la directive 2004/18, et ce afin de recourir à une procédure plus ouverte à la concurrence. Or, il serait incompatible avec cette exigence de permettre à un tel pouvoir adjudicateur d’appliquer cette disposition alors que la création ou le maintien de la situation d’exclusivité qu’il invoque à cet effet lui est imputable, du fait, notamment, que, afin d’atteindre le résultat visé par le marché concerné, ce pouvoir adjudicateur n’avait pas besoin de générer une telle situation d’exclusivité ou qu’il disposait de moyens réels et raisonnables du point de vue économique pour mettre fin à une telle situation.
(...) il incombe de déterminer si le comportement de ce pouvoir adjudicateur, notamment lors de la conclusion d’un contrat antérieur ayant donné lieu au marché public concerné, est à l’origine de l’apparition d’une situation d’exclusivité et (...) également examiner si la perpétuation d’une telle situation d’exclusivité jusqu’à la décision dudit pouvoir adjudicateur de suivre la procédure négociée sans publication préalable d’un avis de marché est due à l’action ou à l’inaction de ce même pouvoir adjudicateur".
Une vigilance accrue pour les acheteurs publics
En conclusion, la CJUE impose aux acheteurs publics de démontrer que le recours à une procédure négociée sans publicité préalable est justifié et non lié à leur propre comportement. Cette décision renforce la transparence et le respect des principes de concurrence dans la commande publique.