La Direction des Affaires Juridiques du Ministère de l’Economie, des Finances et de la Relance (« DAJ ») a publié une mise à jour de sa fiche technique consacrée aux marchés publics confrontés à la flambée des prix et au risque de pénurie des matières premières, que nous avions déjà commentée.
Cette actualisation, intervenue 6 jours avant l'invasion de l'Ukraine, prend malheureusement un relief encore plus grand dans ce contexte dont les répercussions vont être sismiques et systémiques probablement, à observer le fil des jours et les sanctions économiques et embargos croisés.
Une fiche qui dès lors tombe à plat face au mur des problèmes d'exécution des marchés publics.
Situation des marchés en cours d’exécution
La DAJ rappelle qu’il est toujours loisible aux acheteurs d’aménager les délais d’exécution ainsi que de renoncer aux pénalités de retard. Elle précise également que le titulaire peut prétendre à indemnisation sur le fondement de la théorie de l’imprévision sous réserve que les conditions soient réunies et rappelle les possibilités de modifier les contrats de la commande publique par avenant notamment sur le fondement de l’article R. 2194-5 du code de la commande publique.
A cet égard, il est possible de faire part de trois séries observations.
- Tout d’abord, il aurait pu être opportun que la DAJ indique aux acheteurs que la prolongation des délais d’exécution constitue ipso facto une renonciation à l’application des pénalités de retard susceptibles d’être calculées sur la base du délai contractuel initial. Aussi, dans une telle situation, il n’y a pas lieu de distinguer l’hypothèse de la prolongation ou de la suspension des délais d’exécution de celle de la renonciation à l’application des pénalités de retard[1].
- Ensuite, l’on peut également regretter qu’en ce qui concerne la modération des pénalités de retard, la DAJ se réfère exclusivement à l’arrêt OPHLM de Puteaux[2] et non à l’arrêt Centre hospitalier interdépartemental de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent[3] qui en précise les conditions.
- Enfin, comme évoqué dans notre précédent commentaire, la rédaction des parties consacrées au caractère intangible du prix et à la modification du contrat nous semble critiquable à deux égards.
- Premièrement, la DAJ n’évoque que le cas de la signature d’un avenant alors même que les dispositions du code de la commande publique ont vocation à s’appliquer à l’ensemble des modifications des conditions contractuelles (qu’elles concernent le prix ou d’autres conditions d’exécution contractuelles telles que les délais d’exécution) quelle que soit sa forme (avenant ou modification unilatérale notamment par voie d’ordre de service).
- Secondement, la DAJ laisse à penser que le prix du marché ne pourrait pas subir d’évolutions alors même qu’elle admet l’hypothèse d’une indemnisation au titre de l’imprévision, la modification du périmètre du marché ou encore la renonciation aux pénalités. Or, ces trois hypothèses constituent précisément des cas de modification des conditions d’exécution financières du marché.
Plus encore, à notre sens, la DAJ attache une trop grande importance au principe de l’intangibilité du prix alors même qu’un tel principe ne résulte pas directement de la jurisprudence actuelle et n’a pas de fondement textuel et ce, au détriment d’autres considérations plus opérationnelles.
D’ailleurs, l’on ne saisit pas pourquoi seul le prix devrait être intangible et non les autres éléments contractuellement définis comme les délais d’exécution ou les pénalités. En particulier, l’on peut s’interroger sur le point de savoir si les délais d’exécution ne peuvent pas également constituer, dans certains contrats, « un élément essentiel de la détermination des offres remises par les candidats au stade de la passation du marché ». En effet, c’est omettre que certains marchés sont attribués à telle ou telle entreprise sur la base du délai d’exécution proposé à l’offre.
Aussi, à notre sens, le prix, à l’instar des autres composantes du contrat, peut faire l’objet de modifications mais uniquement dans les cas définis comme des modifications autorisées aux termes du code de la commande publique.
La rédaction des futurs marchés : faire face à l'inattendu [4]...
... avec des clauses d'actualisation et de révision des prix
La DAJ rappelle, en premier lieu, le dispositif applicable en matière d’actualisation et de révision des prix.
Ainsi, elle préconise, d’une part, de prévoir une périodicité courte et représentative de l’évolution des coûts dans le cadre de la clause de révision. D’autre part, en matière d’actualisation des prix, elle estime qu’il conviendrait d’éviter d’émettre un ordre de service unique de commencement des travaux.
D’une manière générale, la DAJ recommande « de prévoir des prix révisables pour les marchés répondant à des besoins continus ou réguliers et conclus pour une ou plusieurs années » ainsi que « pour les marchés conclus à prix fermes, (…) de prévoir un délai d’actualisation du prix inférieur au maximum de trois mois mentionné à l’article R. 2112-11 » du code de la commande publique.
Toutefois, il est possible de regretter que la DAJ n’ait pas fourni d’indications sur les clauses « butoirs » ou de sauvegarde que l’on retrouve aux termes de nombreux marchés publics. En effet, le bureau du conseil aux acheteurs aurait pu conseiller aux acheteurs, compte tenu de la période, d’éviter de stipuler de telles clauses, dont la régularité pourrait d’ailleurs être discutée lorsqu’elles sont insérées dans des marchés pour lesquels la révision est obligatoire.
... des clauses de gestion des délais et des pénalités
En ce qui concerne les clauses relatives à la gestion des délais d’exécution, la DAJ aurait également pu rappeler qu’en cas de « circonstance échappant à la responsabilité du titulaire et le mettant dans l’impossibilité de respecter les délais contractuels », les pénalités de retard ne sont généralement pas applicables en application de la jurisprudence administrative. Ce faisant, ainsi que nous le relevions précédemment, cette proposition semble superfétatoire.
En outre, elle ne règlera pas nécessairement les difficultés actuelles puisqu’il est possible de s’interroger sur le point de savoir si les difficultés d’approvisionnement subies par le titulaire constituent effectivement des circonstances échappant à sa responsabilité… (il peut en être lui-même responsable par négligence), sauf à ce que les derniers évènements non plus sanitaires mais géopolitiques bloquent de nombreux secteurs économiques en l'absence de dénouement rapide et négocié.
... de plus fortes avances
De nouveau, la DAJ invite les acheteurs à prévoir une avance d’au moins 30 % sans constitution de garanties et rappelle une nouvelle fois l’importance de respecter les délais de règlement.
Néanmoins, en ce qui concerne l’avance, les acheteurs ne doivent pas non plus perdre de vue qu’en cas de défaillance du titulaire, ils pourraient ne pas recouvrer les sommes versées. Par voie de conséquence, il nous semble crucial de rappeler aux acheteurs, dans cette perspective, l’importance de contrôler effectivement la capacité financière et économique des candidats. Aussi, la fixation d’une avance d’un montant aussi conséquent pourrait s’accompagner d’exigences spécifiques (notamment en sollicitant des candidats la communication de leurs bilans ou en fixant des conditions de participation).
En tout état de cause, l'inattendu qui s'ouvre à nous risque de nous conduire à avoir la certitude que ces préconisations seront totalement insuffisantes en cas de réelle rupture d'approvisionnement et de multiplications inconsidérées des prix.
Une prochaine mise à jour de la fiche de la DAJ n'est donc pas de l'ordre de l'inattendu.
[1] CE, 17 mars 2010, Commune d’Issy-les-Moulineaux, req. n° 308676, Rec., T.
[2] CE, 29 décembre 2008, OPHLM de Puteaux, req. n° 296930, Rec.
[3] CE, 19 juillet 2017, Centre hospitalier interdépartemental de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent, req. n° 392707, Rec.
[4] Par référence à E. Morin, "Attends-toi à l'inattendu", 3/12/2021
A relire : nos commentaires de la précédente version de la fiche