Quand la vie d’un dossier de permis de construire s’arrête-t-elle ? Les précisions bienvenues du Conseil d’Etat sur la modification d’un dossier en cours d’instruction
Alors que nombre de pétitionnaires et de services instructeurs pensaient que le contenu dossier de permis de construire demeurait figé après que ce dernier était déposé pour son instruction ou au plus tard à l’issue du délai d’un mois permettant aux services instructeurs de solliciter des pièces complémentaires, le Conseil d’Etat vient de confirmer que ce dossier peut continuer d’évoluer.
Si le Code de l’urbanisme ne prévoit pas que les pétitionnaires puissent spontanément déposer des pièces ou informations complémentaires et modifier, en cours d’instruction, le dossier initial de demande d’autorisation d’urbanisme, en pratique, la jurisprudence administrative admet depuis longtemps une telle faculté[1].
Pour se faire, elle a déjà admis qu’il est inutile de déposer une nouvelle demande à laquelle sera adjointe un nouveau formulaire CERFA, il suffit de rayer ou modifier ledit document[2].
Frileuse de se livrer à un tel exercice, la jurisprudence en la matière demeurait encore timide sur la question.
Le Conseil d’Etat confirme, dans un arrêt classé A, que la demande de le permis de construire peut continuer d’évoluer lors de son instruction. Le pétitionnaire ne perd pas tout emprise et effet sur son projet.
Dans sa décision du 1er décembre 2023, n° 448905, le Conseil d'Etat énonce les conditions d'évolution du projet pendant l'instruction de la demande insusceptible de modifier les délais d’instruction :
4. En l'absence de dispositions expresses du code de l'urbanisme y faisant obstacle, il est loisible à l'auteur d'une demande de permis de construire d'apporter à son projet, pendant la phase d'instruction de sa demande et avant l'intervention d'une décision expresse ou tacite, des modifications qui n'en changent pas la nature, en adressant une demande en ce sens accompagnée de pièces nouvelles qui sont intégrées au dossier afin que la décision finale porte sur le projet ainsi modifié. Cette demande est en principe sans incidence sur la date de naissance d'un permis tacite déterminée en application des dispositions mentionnées ci-dessus. Toutefois, lorsque du fait de leur objet, de leur importance ou de la date à laquelle ces modifications sont présentées, leur examen ne peut être mené à bien dans le délai d'instruction, compte tenu notamment des nouvelles vérifications ou consultations qu'elles impliquent, l'autorité compétente en informe par tout moyen le pétitionnaire avant la date à laquelle serait normalement intervenue une décision tacite, en lui indiquant la date à compter de laquelle, à défaut de décision expresse, la demande modifiée sera réputée acceptée. L'administration est alors regardée comme saisie d'une nouvelle demande se substituant à la demande initiale à compter de la date de la réception par l'autorité compétente des pièces nouvelles et intégrant les modifications introduites par le pétitionnaire. Il appartient le cas échéant à l'administration d'indiquer au demandeur dans le délai d'un mois prévu par l'article R. 423-38 du code de l'urbanisme les pièces manquantes nécessaire à l'examen du projet ainsi modifié.
Il rappelle alors que selon la nature de la modification elle peut avoir des incidences sur l’économie générale du projet, ou désormais la nature globale du projet (en écho à l’évolution de la jurisprudence sur le permis modificatif : CE, 26 juillet 2022, n° 437765) et ainsi relancer le délai d’instruction de la demande[3].
En effet, si la modification mineure du projet ne donne pas lieu au déclenchement d'un nouveau délai d'instruction[4], la modification importante voire tardive du projet implique la réinitialisation du délai d'instruction.
En tout état de cause, un nouveau délai n’est opposable que s’il est notifié dans le mois de la réception de ces documents[5].
Les services instructeurs disposent donc d’une certaine forme de latitude afin de juger si le projet doit être considéré ou non comme étant une nouvelle demande néanmoins ils devront rester flexibles et accueillir les modifications et compléments soumis par les pétitionnaires et ainsi éventuellement saisir les autorités compétentes pour de nouveaux avis (ABF, SDIS…).
[1] CE, 4 mars 1983, n° 22648
[2] CAA Nancy, 7 février 2019, n° 18NC01631
[3] CAA de PARIS, 15/12/2016, 15PA01824 ; TA Paris, 3e ch., 1er juill. 2022, n° 2112708 ; CE, 4 mars 1983, n° 22648
[4] CAA de PARIS, 12/12/2017, 16PA03724
[5] TA Montreuil, 11 mars 2020, n° 1901122 - Cette solution a été implicitement confirmée en appel (CAA Versailles, 2e ch., 28 janv. 2022, n° 20VE01270)