Les partisans de simplification des marchés publics pour relancer l'économie peuvent ouvrir le champagne, mais doivent-il le boire ?
Les seuils de dispense de mise en concurrence et de publicité augmentent de manière limitée pour relancer l'économie, et de surcroît pas pour tous les marchés publics. Comme si seuls les petits travaux pouvaient participer de cet effort ! Si l'on veut faire de la relance rapidement par la commande publique, il va vraiment falloir se sortir les doigts du Code.
Le gouvernement avait annoncé l'augmentation de seuils de dispense de toute mise en concurrence et de publicité pour permettre l'accélérer les commandes auprès des PME et participer ainsi à l'effort de relance de l'économie. C'est chose faite avec le décret n° 2020-893 du 22 juillet 2020 portant relèvement temporaire du seuil de dispense de procédure pour les marchés publics de travaux et de fourniture de denrées alimentaires. Uniquement doit-on constater.
Mesure limitée en faveur des TPE et des artisans dans le BTP
Sans modifier l'article R.2122-8 du code de la commande publique, le seuil habituel de 40 000 € HT de l'article est porté à 70 000 € pour les seuls marchés de travaux. Sont également concernés des "mini-lots" jusqu'à 70 000 € HT et dans la limite habituel de 20% du montant total de tous les lots d'une même opération, sans modification non plus de l'article R.2123-1 du code de la commande publique qui en est le fondement). La durée de cette dispense est limitée jusqu'au 10 juillet 2021. Comme habituellement, il est précisé que "les acheteurs veillent à choisir une offre pertinente, à faire une bonne utilisation des deniers publics et à ne pas contracter systématiquement avec un même opérateur économique lorsqu'il existe une pluralité d'offres susceptibles de répondre au besoin". Ces dispositions sont également d'application dans les territoires ultra-marins pour les marchés de l'Etat et de ses établissements (art. 3 du décret).
Cette augmentation des seuil permettra clairement d'encourager les commandes rapides auprès des TPE et artisans du secteur du bâtiment assez durement touchés par l'arrêt des chantiers pendant la période de confinement. Mais comme souvent, les effets d'annonce et les mesures prises ont une forte portée symboliques et une porté pratique assez limitée, ce qui participe d'une image "hors sol" des gouvernances successives.
En effet,
- d'une part cette mesure ne peut concerner que des opérations ponctuelles de petits travaux pour la plupart des acheteurs publics (qu'a t-on pour 70.000 € HT de travaux ?), ne pouvant évidemment pas être "saucissonnés" ;
- d'autre part, les entreprises et artisans auxquelles elles sont destinées sont encore à la peine pour rattraper le retard des chantiers stoppés pendant le confinement et des surcoûts induits, et de ne seront pas nécessairement en mesure de faire face à des afflux de commandes de gré à gré ;
- en outre, la portée semble trop limitée dans le temps ;
- enfin, le cantonnement aux seuls marchés de travaux de moins de 70.000 € HT, alors que des montants plus conséquents auraient pu être retenus compte tenu de l'objet des marchés, la notion de "petits lots" de travaux étant réglementairement de 1 M € (R.2123-1 du CCP).
Le flop de la relance de l'économie par les marchés publics
Les résultats de la "relance" risquent d'être décevants en ne cantonnant ainsi ces mesures de simplification au secteur du BTP et non pas aux services et fournitures. Presque tous les secteurs de l'économie ont été frappé de plein fouet, brutalement, par la crise sanitaire. La réaction serait de permettre une relance rapide et générale à tous les secteurs, quitte à faire une distinction des montants de dispense en fonction des objets de marchés : 70.000 € pour les fournitures et services et 500.000 pour les travaux par exemple.
Quelles que soient les réticences mises en avant, le choc des mots "relance" et "simplification" n'est jamais à la hauteur des enjeux et situation. L'absence temporaire de procédure lourdes souhaitée par le monde économique (le monde réel devrait-on dire), a pour vocation de rapidement remonter la perte de chiffre d'affaires, traduit d'ailleurs directement dans la chute du PIB, pour permettre aux entreprises de retrouver des niveaux de commandes permettant de ré-embaucher du personnel. Il faut agir sur les curseurs d'une commande publique très simplifiée, l'augmentation des avances, des délais d'exécution rallongés, l'atténuation des pénalités de retard.
Face à une telle crise, il faut changer temporairement de paradigme. L'Europe a su le faire grâce au dernier sommet, pour être à la hauteur de l'enjeu, et admettre pour la 1ère fois de son histoire la notion de dette commune mutualisée. La relance par les marchés publics ne pourra pas se faire avec un grain de sable d'une dispense de formalités de passation pour les seules opérations de travaux de moins de 70.000 €.
Le même constat critique est à faire pour les commandes, anecdotiques, de denrées alimentaires produites, transformées et stockées avant la date de cessation de l'état d'urgence sanitaire, et devant être livrée avant le 10 décembre 2020, pour une valeur estimée inférieure à 100.000 €. C'est bien, mais après les pertes de récolte sur pied faute de main d'oeuvre et les difficultés pour recruter des saisonniers dans cette période encore incertaine, on pouvait espérer plus ambitieux, plus systémique, plus disruptif...
Au final, ces mesures vont dans le bon sens, mais encore une fois, leur manque d'ampleur, leur portée limitée, à effets trop différés ne sont pas à la hauteur de l'énergie et de l'imagination qu'il faut déployer pour être plus efficace que le seul recours massif à la dette sur une génération.