La vérité sur l'affaire des 3 devis : nouvel épisode avec l'arrêt déjà fortement commenté de la Cour administrative d'appel de Nantes dans un arrêt du 7 février 2025 (téléchargeable ci-dessous), concernant l'approbation d'un devis par le conseil municipal de la désormais célèbre commune de Tilly-sur-Seuilles, "un village riche en histoire" comme l'indique la page d'accueil très fleurie de son site internet.
Rappel des épisodes précédents :
- Episode 1 : trois devis pour une tondeuse, de mémoire à 1 200 euros (CAA Douai, 31/12/2012, Commune d'Hoymille, req. 11DA00590): obligation de recourir à des critères pour le choix entre plusieurs offres (4 devis demandés) :
2. Considérant que les marchés passés selon la procédure adaptée prévue par l'article 28 du code des marchés publics, dans sa rédaction issue du décret n° 2006-975 du 1er août 2006, sont soumis aux dispositions de son article 1er, comme tous les contrats entrant dans le champ d'application de ce code ; que, pour assurer le respect des principes de liberté d'accès à la commande publique, d'égalité de traitement et de transparence des procédures, l'information appropriée des candidats sur les critères d'attribution d'un marché public est nécessaire, dès l'engagement de la procédure d'attribution du marché, dans l'avis d'appel à concurrence ou le cahier des charges tenu à la disposition des candidats ; que, dans le cas où le pouvoir adjudicateur souhaite retenir d'autres critères que celui du prix, l'information appropriée des candidats doit alors porter également sur les conditions de mise en oeuvre de ces critères ;
3. Considérant que les demandes de devis établies le 20 septembre 2006, adressées par la COMMUNE DE HOYMILLE à quatre fournisseurs, indiquaient les caractéristiques de la tondeuse dont elle souhaitait faire l'acquisition sans leur faire connaître les critères, notamment de prix et de performance technique, sur lesquels elle se serait fondée pour retenir l'une des offres en concurrence ; que le marché en cause a, par suite, été attribué à l'issue d'une procédure menée en méconnaissance des principes énoncés ci-dessus ;
- Episode 2 : offres sollicitées avec publicité et mise en concurrence pour un marché de CSPS d'environ 3 000 euros conclu par la Commune de Petit-Rederching (TA de Strasbourg, 16 mai 2024, req. n° 2108389)
2. Considérant que les marchés passés selon la procédure adaptée prévue par l'article 28 du code des marchés publics, dans sa rédaction issue du décret n° 2006-975 du 1er août 2006, sont soumis aux dispositions de son article 1er, comme tous les contrats entrant dans le champ d'application de ce code ; que, pour assurer le respect des principes de liberté d'accès à la commande publique, d'égalité de traitement et de transparence des procédures, l'information appropriée des candidats sur les critères d'attribution d'un marché public est nécessaire, dès l'engagement de la procédure d'attribution du marché, dans l'avis d'appel à concurrence ou le cahier des charges tenu à la disposition des candidats ; que, dans le cas où le pouvoir adjudicateur souhaite retenir d'autres critères que celui du prix, l'information appropriée des candidats doit alors porter également sur les conditions de mise en oeuvre de ces critères ;
3. Considérant que les demandes de devis établies le 20 septembre 2006, adressées par la COMMUNE DE HOYMILLE à quatre fournisseurs, indiquaient les caractéristiques de la tondeuse dont elle souhaitait faire l'acquisition sans leur faire connaître les critères, notamment de prix et de performance technique, sur lesquels elle se serait fondée pour retenir l'une des offres en concurrence ; que le marché en cause a, par suite, été attribué à l'issue d'une procédure menée en méconnaissance des principes énoncés ci-dessus ;
- Episode 3 : demande de trois devis pour plus de 70 000 euros TTC de travaux dans le cadre de l'exception temporaire de mise en concurrence pour les marchés de travaux de moins de 100 000 euros HT (CAA Nantes, 7 février 2025, commune de Tilly sur Seulles, req. n° 24NT00896) : la procédure de 3 devis n'est pas un MAPA et la détermination d'une offre pertinente peut donc se faire sans critères particuliers :
1. Par une délibération du 5 avril 2022, la commune de Tilly-sur-Seulles a décidé de conclure un marché public avec l'entreprise Jones Travaux publics, dite " Jones TP ", afin de réaliser des travaux de voirie pour un montant de 72 934,58 euros toutes taxes comprises. M. C..., M. B... et Mme Jardin, conseillers municipaux de la commune, ont demandé au tribunal administratif de Caen l'annulation du contrat ainsi conclu. Par un jugement du 22 janvier 2024, le tribunal administratif de Caen a rejeté leur demande. Ils font appel de ce jugement.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. Aux termes de l'article 142 de la loi du 7 décembre 2020 d'accélération et de simplification de l'action publique visée ci-dessus : " I. - Jusqu'au 31 décembre 2022 inclus, les acheteurs peuvent conclure un marché de travaux sans publicité ni mise en concurrence préalables pour répondre à un besoin dont la valeur estimée est inférieure à 100 000 € hors taxes. / (...) / Les acheteurs veillent à choisir une offre pertinente, à faire une bonne utilisation des deniers publics et à ne pas contracter systématiquement avec un même opérateur économique lorsqu'il existe une pluralité d'offres susceptibles de répondre au besoin. (...) ".
3. Il est constant que le maire de la commune de Tilly-sur-Seulles a sollicité des devis, pour effectuer les travaux de voirie ayant fait l'objet du marché litigieux, de la part de trois entreprises, qu'il a ensuite soumis au conseil municipal, ce dernier ayant finalement retenu le devis de la société Jones TP. Toutefois, cette circonstance n'implique pas que la commune de Tilly-sur-Seulles ait entendu se placer dans le cadre d'une procédure adaptée impliquant une mise en concurrence. La consultation de différents devis avait uniquement pour but de respecter les critères posés par l'article 142 de la loi du 7 décembre 2020 tirés du choix d'une offre pertinente, en faisant une bonne utilisation des deniers publics. Ainsi, la commune de Tilly-sur-Seulles bénéficiant du dispositif dérogatoire cité au point 2, le moyen tiré de ce que le contrat en cause a été conclu en méconnaissance des règles de publicité et de mise en concurrence applicables à la procédure adaptée à laquelle la commune se serait spontanément soumise alors qu'elle n'y était pas tenue doit être écarté. Par conséquent, les requérants ne peuvent davantage utilement soutenir que la commune aurait dû communiquer aux entreprises contactées pour produire des devis les critères de choix des offres et les solliciter tous au même moment. Enfin, M. C..., M. B... et Mme Jardin ne peuvent davantage utilement soutenir que la commune aurait dû mettre en œuvre la procédure de détection des offres anormalement basses, alors qu'ils ne développent aucun argument sur l'absence de pertinence de l'offre retenue, la mauvaise utilisation des deniers publics ou l'interdiction de contracter systématiquement avec un même opérateur économique, seuls critères posés par l'article 142 de la loi du 7 décembre 2020. En tout état de cause, le simple écart entre le prix proposé par la société Jones TP et celui des deux autres entreprises sollicitées ne suffit pas à établir le caractère anormalement bas du devis retenu.
Donc, dans cette dernière affaire, la commune a sollicité trois entreprises qui ont établi chacune :
- un devis détaillé avec probablement des métrés et un travail assez conséquent pour réaliser pas moins que 72 000 euros de travaux,
- compte tenu de l'importance de l'opération, c'est tout le conseil municipal qui en a débattu pour, ce que l'on suppose, a minimum comparer les devis (sinon on se demande pourquoi en demander 3 !)
- la Cour considère que retenir un devis pertinent, en "regardant" 2 autres devis, mais sans les comparer, est possible et sans critère.
Cette position paraît très contestable tant sur le plan des principes qu'au regard des circonstances évoquées dans cette affaires.
- Sur les principes, l'article 142 de la Loi du 7 décembre 2020 dite ASAP permet d'attribuer, de gré à gré (en commande publique, cela se traduit par l'absence de toute mise en concurrence), à hauteur de 100 000 euros HT de travaux (dérogation prorogée jusqu'au 31/12/2025 par le décret n° 2024-1217 du 28/12/2024). Dans cette hypothèse, "les acheteurs veillent à choisir une offre pertinente, à faire une bonne utilisation des deniers publics et à ne pas contracter systématiquement avec un même opérateur économique lorsqu'il existe une pluralité d'offres susceptibles de répondre au besoin". Cette exception de mise en concurrence est également valable d'une manière générale pour les achats inférieurs à 40 000 euros HT de l'article R.2122-8 du CCP (Partie 2 du CCP, Titre II "Choix de la procédure", chapitre II "Marchés passés sans publicité ni mise en concurrence" avant donc le chapitre III "marchés passés selon une procédure adaptée". Il en résulte donc que la notion d'offre pertinente est appropriée pour l'appréciation d'une seule proposition, un seul devis, sans éléments comparatifs avec d'autres candidats : l'acheteur procède à son sourcing, ses propres appréciations (sur des prix de fournitures, de services et même petits travaux, avec ses propres compétences techniques.
- Sur les circonstances de l'espèce, comme évoqué, trois entreprises ont donc été sollicitées pour des devis détaillés de plus de 70.000 euros, pour constituer dès de vraies offres dont les mérites, au delà d'une simple pertinence, auraient mérité d'être pertinemment appréciés, à l'aune d'un mininum de critères de comparaison.
"Guide pour évaluer la pertinence d'une offre parmi plusieurs devis de travaux" : le challenge entre la CAA de NANTES et ChatGPT
Compte tenu des débats autour du sujet, et sans a priori, le challenge de la question posée à l'IA s'est présentée : "comment apprécier la pertinence d'une offre en présence de trois devis de travaux ?" Avec ses algorithmes et sa recherche statistique dans les sources documentaires disponibles, ChatGPT (version pro) s'est donc non seulement appropriée le sujet, mais a spontanément proposé un guide dédié "aux éléments clés pour choisir le meilleur devis". Car finalement, lorsqu'un acheteur, quel qu'il soit, fait établir plusieurs devis de travaux pour 72.000 euros de budget, le but n'est-il pas de choisir l'offre pertinente, sous-entendu le meilleur devis et donc la meilleure offre ?
En commande publique, la meilleure offre comparée résulte alors de l'appréciation des mérites respectifs de chaque proposition, en respectant les principes fondamentaux de la commande publique, que l'on cesse de nous dire qu'ils sont applicables au 1er euro. Alors penser que ces principes puissent l'être pour 72.000 et pas seulement 1 euro, impliquant un minimum d'égalité de traitement et de transparence dans la justification des choix opérés, n'est pas illogique. C'est d'ailleurs bien ce que semble "penser" ChatGPT...
Il en ressort dès lors une analyse comparative multicritères bien utile à bon nombre d'acheteurs, fait clairement ressortir les éléments clés à analyser et comparer : prix, détail et transparence du devis, qualité des matériaux, délais d'exécution, réputation et références de l'entreprise, garanties et assurances, conditions de paiement, pour conclure avec un "tableau comparatif des critères d'évaluation".
Une démonstration presque choc, mettant un KO le juge sur le terrain de la pertinence.
Ce guide, mis en forme par nos soins, mais absolument pas retouché dans son contenu, est librement téléchargeable ci-dessous, comme les décisions citées.