Décision n° 2024-1105 QPC du 4 octobre 2024
La procédure disciplinaire impose, s’agissant des faits les plus graves relevant des sanctions de deuxième, troisième et quatrième groupes, la saisine obligatoire du Conseil de discipline pour avis préalable.
Très concrètement, l’agent public à l’encontre duquel une telle procédure est ouverte fait donc l’objet d’une convocation devant le Conseil de discipline, devant lequel l’ensemble de ses dires et réponses questions qui lui sont posées peuvent être utilisés aux fins de déterminer s’il y a lieu ou non de prononcer la sanction envisagée, notamment contre lui s’il reconnait ses manquements.
En outre, l’autorité disciplinaire a également accès à ses réponses, peut en tenir compte pour le prononcé de la sanction, au même titre que l’avis (favorable/défavorable) rendu par le Conseil de Discipline.
Et pourtant, si l’état actuel du droit prévoit certaines garanties au profit des agents publics mis en cause, précisément posées par les articles 19 alinéa 3 de la loi du 13 juillet 1983 (83-634) et L.532-4 du Code général de la fonction publique (ci-après « CGFP »), force est de constater que parmi elle, ne figure pas le droit pour l’agent public de garder le silence, notamment à l’occasion des questions posées devant ledit Conseil.
Pour rappel, les garanties posées, en l’état du droit, sont les suivantes :
- Du droit à la communication de son dossier individuel ;
- Du droit d’être assisté par une personne de son choix ;
- Du droit de présenter ses observations écrites ou orales aux faits qui lui reprochés, à l’aune du principe du contradictoire.
Finalement saisi d’un tel constat au titre de la présente question prioritaire de constitutionnalité (QPC), le Conseil Constitutionnel a alors considéré que l’absence d’un tel droit à ne pas répondre, dans le cadre d’une procédure disciplinaire, était contraire à l’article 9 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen (DDHC).
En ce sens, rappelons, que selon les termes de l’article 9 de la DDHC, « tout homme étant présumé innocent jusqu'à ce qu'il ait été déclaré coupable, s'il est jugé indispensable de l'arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s'assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi. ».
À cet égard, le Conseil Constitutionnel a, dans une décision récente, offert une lecture actualisée de l’article 9 considérant qu’il en découlait nécessairement le droit de se faire (Décision n°2023-1074 QPC, 8 décembre 2023) :
9. Aux termes de l’article 9 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 : « Tout homme étant présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable, s’il est jugé indispensable de l’arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s’assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi ». Il en résulte le principe selon lequel nul n’est tenu de s’accuser, dont découle le droit de se taire. Ces exigences s’appliquent non seulement aux peines prononcées par les juridictions répressives mais aussi à toute sanction ayant le caractère d’une punition. Elles impliquent que le professionnel faisant l’objet de poursuites disciplinaires ne puisse être entendu sur les manquements qui lui sont reprochés sans qu’il soit préalablement informé du droit qu’il a de se taire.
Dans cette précédente décision, le Conseil constitutionnel se prononçait sur une affaire hors-champ de la Fonction publique, s’agissant de la constitutionnalité de l’ordonnance n° 45-1418 du 28 juin 1945 relative à la discipline des notaires et de certains officiers ministériels.
C’est dans ce cadre précis que s’inscrit la présente décision, au terme de laquelle le Conseil Constitutionnel généralise finalement la portée de l’article 9 de la DDHC et du droit au silence à la Fonction Publique.
Ainsi, et si un tel principe était d’ores et déjà fortement ancré dans la procédure pénale, il apparaît désormais officiellement consacré dans toute procédure à vocation répressive et disciplinaire engagé à l’égard d’agents publics.
En d’autres termes, l’administration est désormais tenue d’informer l’agent public qu’elle met en cause de son droit à garder le silence - au même titre des autres droits dont il dispose (cf. supra) - et ce, dès la notification de l’engagement d’une procédure disciplinaire à son encontre.
En outre, l’absence d’une telle information pourrait très certainement être de nature à vicier la procédure disciplinaire engagée, voire à entraîner l’annulation contentieuse d’une sanction ainsi prononcée, en cas de recours devant le juge administratif.
L’on précisera par ailleurs qu’une telle décision pourrait également permettre une clarification de la ligne jurisprudentielle administrative récente.
Effectivement, rappelons que la CAA de Paris a récemment considéré que l’absence de notification à l’agent poursuivi disciplinairement de son droit à garder silence était de nature à entacher la sanction d’un vice de procédure l’ayant privé d’une garantie, justifiant in fine, l’annulation de la décision de sanction administrative (CAA Paris, 2 avril 2024, n°22PA03578) ; là où le Conseil d’État s’était antérieurement refusé à tenir compte d’une telle garantie en matière non-pénale, à l’occasion d’une affaire intéressant la discipline des magistrats (Conseil d'État, req. n°473249, 23 juin 2023).
En conséquence, le Conseil Constitutionnel déclare les articles 19 alinéa 3 de la loi du 13 juillet 1983 et L.532-4 du CGFP contraires à la Constitution et invite le législateur à tenir compte de cette garantie, par l’abrogation différée de l’article L.532-4 du CGFP pour le 1er octobre 2025.
Néanmoins, l’obligation d’information de l’agent public du droit au silence dont il dispose dans le cadre d’une procédure disciplinaire engagée à son encontre est d’application immédiate, l’administration devant dès à présent en tenir compte pour l’ensemble des « instances introduites à la date de publication de la présente décision et non jugées définitivement ».
Reste à déterminer le sort qui sera réservé aux procédures déjà engagées à la date de la présente QPC, à la lumière des décisions juridictionnelles à venir.