Dans une décision « Communauté d’agglomération de Lens-Liévin » du 18 mai 2021 (n°443153), le Conseil d’Etat a annulé un protocole transactionnel conclu entre une collectivité pouvoir adjudicateur et un opérateur économique, à la suite d’un recours introduit par des membres de l’assemblée délibérante. Celui-ci a en premier lieu rappelé que toute clause prévoyant la renonciation au paiement d’intérêts moratoires est réputée non écrite, avant de requalifier la concession d’aménagement en marché public, l’économie du contrat devant conduire à regarder celui-ci comme ne transférant aucun risque d’exploitation à l’aménageur.
1 - Un protocole transactionnel invalide en raison de son contenu propre : la renonciation à intérêt moratoire est une interdiction d’ordre public
Annulé tant par le tribunal administratif d’Amiens que par la Cour administrative d’appel de Douai, le sort du protocole transactionnel conclu le 13 août 2015 entre la communauté d'agglomération de Lens-Liévin et la société Territoires 62, ayant pour objet de mettre fin au litige concernant la concession d'aménagement de la zone d'aménagement concerté Sabès, a définitivement été fixé par le Conseil d’Etat dans une décision « Communauté d’agglomération de Lens-Liévin » (n°443153) rendue le 18 mai 2021.
A ce titre, le Conseil d’Etat a pris soin de rappeler que toute clause de renonciation contractuelle au paiement d’intérêts moratoires était illicite, conformément aux dispositions de l’ancien article 67 de la loi n° 94-679 du 8 août 1994, alors applicable :
« Dans le cadre des marchés publics, y compris les travaux sur mémoires et achats sur factures, est réputée non écrite toute renonciation au paiement des intérêts moratoires exigibles en raison du défaut, dans les délais prévus, soit du mandatement des sommes dues, soit de l'autorisation d'émettre une lettre de change-relevé, soit du paiement de celle-ci à son échéance. / La présente disposition est applicable à toute clause de renonciation conclue à compter de l'entrée en vigueur de la présente loi. »
Ces dispositions d’ordre public, qui avaient biensûr pour finalité de protéger la trésorerie du cocontractant – en particulier les petites et moyennes entreprises – contre toute pression émanant de personnes publiques retardataires, ont été abrogées par l’ordonnance n° 2018-1074 du 26 novembre 2018 et figurent désormais à l’article L.2192-14 du code de la commande publique.
Ainsi quand bien même la concession d’aménagement a été conclue avant l’entrée en vigueur de la loi de 1994, ces dispositions étaient applicables sans difficulté au litige en tant qu’elles se rapportent au protocole transactionnel conclu en 2015.
Pour mémoire, l’affaire avait déjà fait l'objet d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) visant précisément à critiquer les dispositions de l’article 67 de la loi du 8 août 1994 précité, conduisant la Haute juridiction à relever que l’atteinte à la liberté contractuelle constitutionnellement protégée était justifiée par « par l’intérêt général qui s’attache à réduire les retards de paiement des collectivités publiques aux entreprises et n’est pas disproportionnée au regard de l’objectif poursuivi » (CE, 23 décembre 2020, Société Territoires 62, n°443158).
Après avoir relevé l’existence d’une clause « réputée non écrite », appartenait-il au juge de prononcer l’annulation de l’ensemble du protocole transactionnel ?
Si le contour et les conséquences à tirer de cette notion d’inspiration civiliste (d’application particulièrement riche en droit de la consommation) auraient pu faire débat, la Haute juridiction a préféré contourner la question en relevant que ce dernier était par ailleurs entaché de nullité en tant qu’il prétendait régler l’exécution financière d’une concession elle-même entachée de nullité.
2 - Un protocole transactionnel invalide « par ricochet », en tant qu’il règle une concession d’aménagement requalifiée en marché public
A la question de l’éventuelle indivisibilité des clauses du protocole transactionnel, la Haute juridiction a ajouté celle de l’indivisibilité des conventions entre elles, en retenant que le protocole transactionnel se donnait pour objet de régler un différend issu d’un contrat lui-même entaché d’invalidité.
A ce titre, la Haute juridiction rappelle qu’un contrat de concession d’aménagement peut, comme en matière de concessions de service public (en ce sens : CE, 24 mai 2017, Société Régal des Iles, n° 407213, Tables), donner lieu à requalification en marchés publics dès lors que l’opérateur économique n’assume aucun risque d’exploitation. Le régime applicables aux traités de « concessions » d’aménagement foncier prises en application de l’article L.300-4 du code de l’urbanisme n’échappe pas à cette dichotomie concessions-marchés publics, une concession d’aménagement pouvant relever de chacune de ces catégories.
Ainsi pour identifier l’absence de transfert du risque d’exploitation, le Conseil d’Etat retient notamment que :
- La ville s'engage à garantir, dans les conditions déterminées par le cahier des charges, si la demande en est faite par les organismes prêteurs, le service des intérêts et le remboursement des emprunts que la société contractera pour la réalisation de la présente opération ;
- Elle s'engage à mettre à la disposition de la société le produit des emprunts qu'elle aurait souscrit pour la réalisation de l’opération ;
- Les parties ont stipulé que « l'opération de concession est réalisée sous le contrôle de la ville et à ses risques financiers » ;
- Le bilan de clôture arrêté par le titulaire fixe le montant définitif de la participation financière du concédant aux travaux d'aménagement de la zone nécessaire pour équilibrer les comptes, majoré de la rémunération de la société et de la perte cumulée.
Sans surprise, le juge du contrat en a déduit que « le concessionnaire n’a pris aucun risque financier dans cette opération, le concédant, c'est-à-dire la collectivité publique, supportant seul tous ces risques » (décision commentée, point 6), sans pour autant tirer expressément les conséquences de ce vice sur la validité du protocole transactionnel. Devait-on en conclure que ce dernier était a fortiori caduc, invalide par ricochet ? Au lecteur de se faire sa propre opinion…
Au terme de cette démonstration en deux temps – clause illicite d’une part, protocole réglant un contrat entaché d’invalidité d’autre part – le juge a néanmoins retenu la seule présence d’une clause illicite tenant à la renonciation aux intérêts moratoires pour confirmer l’annulation du protocole transactionnel (décision commentée, point 9), peut être pour réduire le risque de rendre toute transaction impossible sur le fondement d'un contrat ultérieurement déclaré nul.
En définitive, alors que les parties cocontractantes sont désormais livrées à un complexe jeu de restitutions et de recours en enrichissement sans cause, force est de constater que la détermination d’élus intransigeants aura, quant à elle, fini par payer et... coûter plus à la collectivité que ce que les parties avaient néanmoins convenues illicitement.
CE, 18 mai 2021, « Communauté d’agglomération de Lens-Liévin », n°443153.