En l’espèce, un promoteur immobilier s’est vu refuser une demande de permis de construire pour des manquements limités aux normes d’urbanisme et a donc saisi le Tribunal administratif de Toulon pour contester ce refus. A titre principal, il défend que c’est à tort que l’autorité compétente a estimé que le projet n’était pas parfaitement conforme aux règles d’urbanisme. A titre subsidiaire, le pétitionnaire estime que c’est à tort que sa demande a été refusée car l’autorité compétente aurait dû faire usage de son pouvoir de prescription afin d’éviter le refus de la demande de permis.
La rapporteure publique estime que les manquements du projet aux règles d’urbanisme applicables sont très limités et auraient donc pu faire l’objet de prescriptions afin d’éviter le refus de la demande de permis.
La prescription est une notion qui n’a été définie par aucun texte législatif ou règlementaire bien qu’il en soit fait mention à plusieurs reprises dans le Code de l’urbanisme.
La faculté de prescription de l’autorité compétente pour délivrer un permis de construire n’est que très peu encadrée et laisse place à un flou juridique. L’article L.421-6 du Code de l’urbanisme relatif au contrôle des demandes d’urbanisme expose :
« Le permis de construire ou d'aménager ne peut être accordé que si les travaux projetés sont conformes aux dispositions législatives et réglementaires relatives à l'utilisation des sols, à l'implantation, la destination, la nature, l'architecture, les dimensions, l'assainissement des constructions et à l'aménagement de leurs abords et s'ils ne sont pas incompatibles avec une déclaration d'utilité publique.
Le permis de démolir peut être refusé ou n'être accordé que sous réserve de l'observation de prescriptions spéciales si les travaux envisagés sont de nature à compromettre la protection ou la mise en valeur du patrimoine bâti ou non bâti, du patrimoine archéologique, des quartiers, des monuments et des sites. »
Concernant les permis de construire ou d’aménager, l’article L.421-6 du Code de l’urbanisme ne semble laisser aucune place à la faculté de prescription contrairement à la partie sur le permis de démolir qui en fait mention.
Certains articles du Code de l’urbanisme relatifs au règlement national de l’urbanisme font aussi mention de cette faculté de prescription spéciale pour des cas précis, c’est le cas de l’article R.111-2 pour des prescriptions concernant la sécurité, R.111-3 concernant de possibles nuisances sonores…
En 2019, le Conseil d’État avait rendu une décision en matière de prescription relative à la sécurité prévue par l’article R.111-2 du Code l’urbanisme, par laquelle il avait encadré ce pouvoir. Selon cette décision, les prescriptions sont possibles si elles sont précises et limitées et si elles ne nécessitent pas la présentation d’un nouveau projet. Selon cette décision, l’autorité en charge de l’instruction doit faire usage de son pouvoir si des prescriptions peuvent permettre de « régulariser » le permis (CE, 26 juin 2019, n°412429).
La rapporteure publique fait ressortir de ces différents textes ainsi que de la jurisprudence une définition générale de la notion de prescription : c’est une règle imposée par l’autorité compétente visant à modifier le projet pour en assurer la légalité.
Madame Sabine Faucher, en étudiant la jurisprudence, fait un bilan jurisprudentiel dévoilant une réelle divergence d’interprétation entre les différentes juridictions. Ainsi, certaines juridictions se sont fermement opposées à cette faculté de prescription (TA Toulon, 18 sept 2020, n°1703326) quand d’autres y sont favorables (CAA Marseille, 1er octobre 2020, n°18MA02613).
Parmi ces juridictions favorables au pouvoir de prescription, les jurisprudences divergent également sur la teneur de cette faculté. Certaines juridictions affirment qu’il est du devoir de l’autorité compétente de prescrire en cas de projet non conforme mais qui serait peu éloigné de la règle (TA Rouen, 7 décembre 2023, n°2202751), d’autres expliquent que le pouvoir de prescription n’est qu’une faculté et non une obligation hormis le cas où il est manifeste que la demande de permis puisse être légalement possible si elle est assortie d’une prescription (TA Strasbourg, 22 février 2024, n°2302966).
Enfin d’autres ont une position plus mesurée en précisant qu’il n’y a pas d’obligation pour l’autorité compétente de faire usage de ce pouvoir mais que le juge saisi d’un moyen tiré de ce qu’un motif de refus aurait pu faire l’objet d’une prescription, en contrôle l’erreur manifeste d’appréciation (TA Toulon, 26 juin 2024 n°2302739) ou encore que la prescription est possible si elle n’apporte pas une « modification substantielle » du projet (TA Lille, 3 juillet 2024, n°2202458).
La rapporteure publique fait tout de même ressortir un point de convergence dans ce foisonnement jurisprudentiel : l’écart entre le projet et la norme applicable doit être faible pour permettre une autorisation assortie d’une prescription. L’irrégularité doit être marginale.
Pour elle, le développement de la faculté de prescription est une nécessité. Son usage résulte de la bonne administration et est une sorte de régularisation précontentieuse ne nécessitant pas de nouvelle demande de permis.
Le régime de la prescription fait émerger de nombreuses questions sur son application, ses limites et nécessite donc une clarification afin d’être appliqué uniformément. C’est pourquoi, le Tribunal de Toulon a utilisé le mécanisme de la demande d’avis sous l’impulsion de Madame Sabine Faucher. Cette dernière attend une véritable grille de lecture du Conseil d’État.
Voici la question posée par le Tribunal de Toulon au Conseil d’État :
« Un pétitionnaire qui, en dehors de toutes dispositions législatives et réglementaires prévoyant la possibilité pour l’autorité compétente d’assortir son autorisation d’urbanisme de prescriptions spéciales, se voit opposer un refus de permis de construire ou une opposition à déclaration préalable, peut-il se prévaloir, devant le juge, de ce que, bien que son projet méconnaisse les dispositions législatives et réglementaires dont l’administration est chargée d’assurer le respect, cette dernière aurait pu ou dû lui délivrer ladite autorisation en l’assortissant de prescriptions ? »
La Cour des comptes a d’ailleurs invité en 2024 dans l’un de ses rapports à rendre la procédure de permis de construire bien plus efficace en la réadaptant. L’efficacité de l’instruction des dossiers est un enjeu capital et le pouvoir de prescription semble pouvoir être un véritable bénéfice pour y parvenir.
Ce pouvoir de prescription pourra aussi permettre de désengorger les contentieux des refus de permis et des contestations de permis.
Le Conseil d’État a donc toutes les cartes en main pour donner au contentieux de la contestation de refus de permis une tout nouvelle tournure.
Affaire à suivre…
Sur les conclusions de Sabine Faucher (RAPU) :
TA de Toulon, 8 novembre 2024 (n°2400101)