Le litige en question concerne une demande d’indemnisation du préjudice subi par une société évincée d’une procédure d’attribution d’une délégation de service public relative au traitement des eaux usées d’une commune de Nouvelle-Calédonie.
L’indemnisation a dans un premier temps était accordée par le Tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie. Cette indemnisation a, par suite, été confirmée et son montant a été augmenté par la Cour Administrative d’Appel de Paris.
C’est ainsi que la commune condamnée s’est pourvue devant le Conseil d’État aux fins d’obtenir l’annulation de l’arrêt rendu.
L’arrêt du Conseil d’Etat rendu le 22 novembre 2022 conclut au rejet du pourvoi et confirme la solution retenue par la Cour Administrative d’Appel après avoir analysé trois problématiques.
La première concerne la recevabilité du recours indemnitaire de la société candidate à la DSP. Le Conseil d’Etat rappelle[1] ici que le délai raisonnable d’un an ne s’applique pas aux recours tendant à la mise en jeu de la responsabilité d’une personne publique. Aussi, les recours indemnitaires étant seulement soumis aux règles de prescription quadriennale, la Haute juridiction procède à une substitution des motifs retenus par la Cour Administrative d’Appel sur ce point[2].
La deuxième problématique concerne le bien-fondé de la condamnation prononcée.
L’on comprend des considérants 5 et 6 de l’arrêt que la commune, pour échapper à la condamnation, avait (classiquement) tenté d’exciper de l’irrecevabilité de l’offre de la société requérante[3] en se prévalant de ce qu’elle n’avait pas produit la preuve de l’engagement de son sous-traitant (ou de son cotraitant, les juges n’ayant pas pris la peine d’identifier la nature des liens) pour l’exécution du marché sur le fondement de l'article L. 2152-2 du code de la commande publique.
Pour autant, la Cour Administrative d’Appel n’avait pas jugé utile de répondre sur ce moyen, le jugeant vraisemblablement inopérant. Le Conseil d’Etat confirme l’inopérance de ce moyen précisant que « l’examen des moyens techniques et humains qu'un opérateur économique entend consacrer à l'exécution d'un contrat de la commande publique relève de l'appréciation de la valeur technique de l'offre ». En d’autres termes, l’on comprend de ce considérant que le Conseil d’Etat a estimé que la fourniture de l’engagement du sous-traitant ou du cotraitant relève de la seule analyse de la valeur des propositions des soumissionnaires mais non de leur conformité. Aussi, l’absence de fourniture d’une telle preuve pouvait conduire à dégrader la note de la société requérante mais pas à l’exclure de la consultation.
Cela étant, le Conseil d’Etat aurait également pu relever que la fourniture d’un tel engagement relève surtout de la phase des candidatures et non de celles des offres. En particulier, on rappellera que l’article R. 2143-12 du code de la commande publique prévoit, au stade de la candidature, que si le candidat s’appuie sur les capacités d’autres opérateurs économiques, il doit apporter par tout moyen approprié la preuve qu’il en disposera pour l’exécution du contrat.
La Haute juridiction aurait pu surtout relever que les dispositions de la deuxième partie du code de la commande publique et donc notamment l’article L. 2152-2 dudit code n’avait assurément pas vocation à régir une procédure de passation concernant une délégation de service public, de surcroît engagée avant 2016 (et donc par définition, avant 2019) en Nouvelle-Calédonie.
Enfin et sur la troisième problématique, le Conseil d’Etat analyse la question de la preuve du préjudice subi. Sur ce point, il considère que le seul fait que la société requérante établisse elle-même son compte prévisionnel d’exploitation, sans que la commune n’en contredise le montant alors qu’elle aurait pu le faire en se basant sur les résultats du délégataire sortant, est suffisamment probant pour justifier de son manque à gagner du fait de son éviction.
Au regard de ce qui précède, il nous semble délicat de tirer un quelconque enseignement de cet arrêt d’espèce si ce n’est celui de l’importance de construire une défense solide devant les juges du fond puisque le pourvoi en cassation ne constitue assurément pas une voie de rattrapage.
[1] Voir par exemple : CE, 17 juin 2019, Centre hospitalier de Vichy, req. n° 413097, Rec.
[2] Laquelle avait jugé le recours recevable mais en estimant que le délai raisonnable d’un an était opposable à l’entreprise.
[3] En effet, une telle irrecevabilité, même si elle n’a pas été relevée au cours de la procédure de passation, permet de démontrer que la société requérante était dépourvue de toutes chances de remporter le marché et donc permet d’exclure la condamnation (voir par exemple : CE, 8 octobre 2014, SIVOM Saint-François-Lonchamp Montgellafrey, req. n° 370990, Rec., T. ; voir plus récemment : CE, 20 septembre 2019, Société BGC, req. n° 421317).