Par une ordonnance inédite du 27 octobre 2020 dans une affaire suivie par le Cabinet, le juge des référés précontractuels du tribunal administratif de Toulon rend une décision aussi novatrice que pragmatique sur les conséquences qu’un acheteur peut tirer d’un dysfonctionnement de la plateforme de dématérialisation ayant conduit à ce que l’analyse des offres par la CAO repose sur des éléments erronés.
1. Le diagnostic : une analyse des offres reposant sur une erreur liée à un dysfonctionnement de la plateforme de dématérialisation.
Dans cette affaire, un groupement candidat à l’attribution d’un marché public de location de presses numériques avait vu son offre rejetée en raison, notamment, de la mauvaise note obtenue au titre d’un sous-critère lié à la formation des agents pour utiliser ces machines.
Les motifs détaillés de rejet de son offre reprochaient en effet au groupement d’avoir remis une offre imprécise faute d’avoir produit la documentation présentant le contenu de la formation à laquelle renvoyait pourtant expressément son mémoire technique.
Dans la mesure où cette documentation n’était pas prescrite à peine d’irrégularité mais qu’elle était seulement utile à l’appréciation de l’offre, celle-ci n’avait pas été rejetée comme étant incomplète mais avait été dévalorisée au titre du sous-critère correspondant (CE, 31 mars 2010, Collectivité territoriale de Corse, req. n°334279).
Le groupement évincé va néanmoins signaler à l’acheteur que cette documentation était bien présente dans l’offre déposée sur la plateforme de dématérialisation.
En effet, un nouveau téléchargement des offres telles que déposées avant la date limite de réception des offres va mettre en évidence la présence de ce document lors du dépôt initial.
Le gestionnaire du profil acheteur va alors reconnaître que le fichier se serait en réalité « perdu » entre le serveur et le séquestre de l’acheteur sans qu’aucun message d’alerte ne vienne bloquer le téléchargement et/ou signaler l’erreur à l’acheteur.
C’est donc à tort que la CAO avait dévalorisé l’offre du groupement en raison de son imprécision.
2. Le choix du traitement au regard des risques d’effets secondaires
Trois solutions s’offraient alors à l’acheteur.
La première consistait à poursuivre la procédure en faisant abstraction de l’erreur commise par la CAO lors de sa première réunion et donc à attribuer le marché au groupement initialement attributaire.
Ce faisant, l’acheteur aurait alors dénaturé l’offre du groupement évincé et méconnu, ainsi, ses obligations de publicité et de mise en concurrence (CE, 20 janvier 2016, CIVIS, req. n°394133).
La deuxième solution supposait de déclarer la procédure sans suite en raison du motif d’intérêt général lié à l’irrégularité affectant l’analyse des offres. Le besoin de l’acheteur n’ayant pas disparu, ce dernier aurait dû relancer très rapidement une nouvelle procédure de publicité et de mise en concurrence.
Or, à la date à laquelle l’erreur commise par la CAO a été portée à la connaissance de l’acheteur, ce dernier avait déjà informé le groupement évincé du rejet de son offre et, conformément à ses obligations en la matière, des caractéristiques et avantages de l’offre retenue en ce compris du prix proposé par l’attributaire.
Ainsi, dans le cadre de la nouvelle procédure à lancer, compte-tenu des informations divulguées de manière non fautive sur l’offre de l’attributaire initialement pressenti, l’acheteur aurait été en position de méconnaître automatiquement le principe d’égalité de traitement des candidats en donnant à son concurrent un avantage certain.
C’est donc pour ne pas nuire à la concurrence loyale entre les opérateurs économiques que l’acheteur demandait au juge des référés de reconnaître une « troisième voie » consistant à reprendre la procédure au stade de l’analyse des offres et concrètement à réunir à nouveau la CAO.
Au soutien de cette demande, l’acheteur invoquait notamment la situation ayant donné lieu à l’arrêt Société Transdev dans laquelle, à l’issue des négociations, une autorité concédante avait divulgué, par erreur, à l’un des candidats à l’attribution d’une concession, des informations sur l’offre de son concurrent et avait décidé ainsi d’attribuer le contrat sur la base des offres initiales (CE, 8 novembre 2017, Société Transdev, req. n°412859).
Reconnaissant que cette solution était la seule à garantir l’égalité de traitement entre les candidats dans le cadre de cette procédure « comme dans le cadre d'une nouvelle procédure si la procédure de passation devait, à brève échéance, être reprise depuis son début », le Conseil d’État admet que l’autorité concédante ait pu s’affranchir du respect des règles fixées par le règlement de la consultation.
C’est une solution empreinte du même pragmatisme que rend le juge des référés précontractuels du tribunal administratif de Toulon en admettant que l’acheteur a pu « figer l’état des offres à la date de leur transmission initiale » et « reprendre la procédure en litige au stade de l’examen des offres initialement déposées » afin de préserver la concurrence loyale entre les opérateurs économiques.
Autrement dit, le principe d’égalité de traitement des candidats justifiait que la CAO puisse procéder à un nouvel examen des offres sans que ce réexamen ne lui soit enjoint suite à l’annulation de la procédure par le juge des référés.
Au-delà, cette nouvelle réunion de la CAO était également rendue possible par la jurisprudence administrative qui admet, de longue date, que l’acheteur puisse réexaminer les offres dans le cas où l’analyse initiale repose sur des éléments entachés de fraude, de dol ou d’erreur matérielle (CE, 8 décembre 1997, Société A2II, req. n°154715) c’est-à-dire sur des vices non imputables à l’acheteur.
Le juge des référés précontractuels va alors admettre que tel était bien le cas dans cette affaire et qu’une erreur matérielle sur le contenu même de l’offre affectait l’analyse effectuée par la CAO dans la mesure où le document jugé manquant était bien présent dans le pli remis par voie dématérialisée.
L’ordonnance actualise ainsi des solutions jurisprudentielles relativement anciennes au regard des contraintes nouvelles pesant sur l’acheteur en raison de la dématérialisation obligatoire des procédures, dématérialisation qui peut conduire à ce que l’analyse des offres soit affectée d’une erreur non imputable à l’acheteur mais au fonctionnement du profil d’acheteur.
TA Toulon, ord., 27 octobre 2020, req. n°2002750 - Décision commentée dans la revue Contrats et marchés publics LexisNexis, n° 1, janv. 2021, comm. 6, note H. Hoepffner