Saisi en référé-liberté, le Conseil d’Etat consacre une nouvelle liberté fondamentale : le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé. Il en profite également pour dresser le panorama des procédures d’urgence applicables pour faire cesser ou prévenir une atteinte à l’environnement.
Depuis l’entrée en vigueur, le 1er mars 2005, de la Charte de l’environnement, d’aucuns pouvaient douter de sa pleine effectivité et de son invocabilité par les justiciables au contentieux.
À l’instar des décisions du Conseil constitutionnel reconnaissant l’invocabilité de la majorité des dispositions de la Charte dans le cadre de questions prioritaires de constitutionnalité (QPC) et sa pleine valeur constitutionnelle, ou consacrant la protection de l'environnement, patrimoine commun des êtres humains, comme objectif à valeur constitutionnelle (OVC), le juge administratif donne une effectivité nouvelle aux droits consacrés par la Charte de l’environnement.
Dans son ordonnance, le Conseil d’Etat, saisi en appel d’une ordonnance de référé-liberté, en profite pour d’abord dresser le panorama des procédures d’urgence permettant de prévenir ou faire cesser une atteinte à l’environnement causée par l’action ou la carence d’une personne publique. Dans un tel cas, le requérant peut, au choix :
- S’il souhaite obtenir la suspension d’un acte, former un référé-suspension (article L.521-1 du code de justice administrative), à condition de démontrer cumulativement l’urgence et de faire état d’un moyen créant un doute sérieux quant à la légalité de l’acte contesté.
- Toujours s’il souhaite obtenir une suspension d’acte, mais sans condition d’urgence, introduire l’un des référés spéciaux du code de l’environnement (sur le fondement de l’article L. 122-2 en cas d’absence d’étude d’impact lorsqu’un projet le nécessitait ou, sur celui de l’article L. 123-16, conclusions défavorables du commissaire enquêteur ou de la commission d’enquête).
- Former un référé mesures-utiles, en cas d’urgence et sans faire obstacle à une l’exécution d’une décision administrative, pour obtenir du juge qu’il enjoigne de prendre des mesures conservatoires destinées à faire échec ou à mettre un terme à cette atteinte (article L. 521-3 du code de justice administrative).
- Introduire un référé-liberté, pour solliciter du juge qu’il prononce, dans les quarante-huit heures, toute mesure de sauvegarde d’une liberté fondamentale à laquelle il est porté une atteinte grave et manifestement illégale, et à condition pour le requérant de démontrer l’urgence à agir dans ce sens (article L. 521-2 du code de justice administrative).
C’est dans cette dernière voie contentieuse d’urgence que réside le principal apport de l’ordonnance du Conseil d’Etat : le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé, autrement dit le droit de vivre dans un environnement sain consacré par l’article 1er de la Charte de l'environnement, est désormais une liberté fondamentale invocable en référé-liberté.
Bien que le Conseil constitutionnel reconnût l’invocabilité en QPC de cette disposition (Conseil Constitutionnel, 8 avril 2011, req. n°2011-116 QPC), et que le Conseil d’Etat reconnaissait d’ores et déjà la valeur constitutionnelle de la charte ( CE, Ass., 3 octobre 2008, Commune d'Annecy, req. n°297931) l’autonomie de la notion de liberté fondamentale « au sens de l’article L. 521-2 du code de justice administrative » et donc du référé-liberté, n’en garantissait pas la même effectivité devant le juge des référés.
Par exemple, la consécration de droits ou libertés fondamentaux par le Conseil constitutionnel ou la Cour européenne des Droits de l’Homme n’en garantissent pas l’invocabilité, étudiée liberté par liberté, en référé-liberté (par exemple, le principe d’égalité n’est, malgré sa valeur constitutionnelle, pas invocable en référé-liberté selon l'arrêt du Conseil d'Etat, Commune de Dannemarie, du 1er septembre 2017, req. n°413607.
Le Conseil d’Etat va cependant restreindre cette nouvelle invocabilité en imposant, outre les conditions classiques du référé-liberté évoquées ci-dessus, des conditions supplémentaires cumulatives pour que le référé prospère :
- Le requérant devra démontrer, au regard de sa situation personnelle, que ses conditions ou son cadre de vie sont gravement ou directement affectés ;
- mais également faire état de circonstances particulières établissant sa nécessité de bénéficier d’une mesure de sauvegarde d’urgence ;
- et enfin montrer au juge des référés que les mesures de sauvegarde qu’il peut adopter pourront être utiles au regard des moyens et mesures déjà adoptées par l’administration.
C’est d’ailleurs pourquoi en l’espèce le Conseil, juge d’appel, va certes censurer l’ordonnance du tribunal administratif de Toulon qui avait refusé de reconnaître le droit à un environnement sain comme une liberté fondamentale, mais tout de même rejeter le référé.