Suite aux scrutins municipaux des 15 mars et 28 juin 2020, le juge administratif a été saisi à plusieurs reprise afin de déterminer si le fort taux d’abstention, très probablement lié à la crise sanitaire, était de nature à entacher la sincérité du scrutin et fausser les résultats de l’élection.
1er épisode : Le Conseil constitutionnel
Tout commence par la transmission par le Conseil d’Etat[1] au Conseil Constitutionnel d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit, de l'article 19 de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19 qui prévoyait notamment de reporter le second tour de scrutin au plus tard, au mois de juin 2020.
Le Conseil constitutionnel retient alors que « les dispositions contestées ne favorisent pas par elles-mêmes l'abstention » et qu’« il appartiendra, le cas échéant, au juge de l'élection, saisi d'un tel grief, d'apprécier si le niveau de l'abstention a pu ou non altérer, dans les circonstances de l'espèce, la sincérité du scrutin »[2]
Il résulte donc de cette décision :
- Que le niveau d’abstention lié au covid-19 ne peut, en tant que tel et par principe, permettre de considérer que la sincérité du scrutin aurait été altérée.
- Que seules les circonstances particulières devant être établies scrutin par scrutin peuvent permettre caractériser une altération de la sincérité du scrutin.
2ème épisode : Le tribunal administratif de Nantes
Appliquant le mode d’emploi proposé par le conseil constitutionnel, le tribunal administratif de Nantes a été saisi et a statué à deux reprises, dans deux sens différents.
Par un premier jugement[3], le tribunal administratif a jugé que les opérations électorales en cause devaient être annulée dès lors que le candidat élu « n’a obtenu que trois voix de plus que la majorité absolue qui conditionnait sa victoire à l’issue du premier tour. Mme X est, par suite, fondée à soutenir que les circonstances particulières dans lesquelles s’est tenu le scrutin du 15 mars 2020, à l’origine d’une abstention inhabituelle, ont été de nature à altérer la sincérité du scrutin et, eu égard au très faible écart de voix par rapport à la majorité absolue, à fausser les résultats de l’élection ».
Ainsi, un écart de voix extrêmement faible doublé d’une « abstention inhabituelle » justifiaient l’annulation de l’élection.
Dans un autre jugement du même jour[4], ce même tribunal administratif a considéré qu’au vu de l’écart de voix séparant les deux listes et compte-tenu de l’impossibilité pour le requérant de démontrer que la hausse de l’abstention par rapport aux précédents scrutins n’avait pas affecté l’ensemble des listes candidates, la protestation électorale motivée par le faible taux de participation devait être rejetée.
Préquel : Le tribunal administratif de Rennes
A noter que précédemment à la décision du conseil constitutionnel, le tribunal administratif de Rennes[5] avait rejeté sur le tri (article R. 222-1 du CJA) la protestation électorale fondée sur l’altération de la sincérité du scrutin en relevant l’absence de circonstance particulières justifiant l’annulation du premier tour des élections municipales.
Par ordonnance donc, ce Tribunal avait considéré :
« 3. Toutefois, la seule circonstance que cette baisse du taux de participation par rapport aux élections municipales antérieures serait consécutive aux annonces du Président de la République et du Premier ministre sur l’épidémie de Covid-19 ne permet pas, à elle seule, d’établir l’existence d’une manoeuvre de nature à altérer la sincérité du scrutin, le protestataire ne soutenant pas, au demeurant, d’une part, l’existence de manoeuvres de la part de ses adversaires, et, d’autre part, une situation privilégiant ces derniers en résultant. Dans ces conditions, alors que l’abstention liée aux craintes entourant cette pandémie a impacté de la même manière toutes les listes en présence, les faits allégués de faible participation ne sont manifestement pas susceptibles de venir au soutien des griefs tirés de ce qui serait une absence alléguée de sincérité du scrutin ou même de liberté de suffrage. ».
3ème épisode : Le Conseil d’Etat
Par un arrêt rendu le 15 juillet 2020[6], le Conseil d'Etat semble donc régler définitivement la question de l'abstention liée à la Covid-19 en jugeant que :
« Ni par ces dispositions (article L 262 du code électoral), ni par celles de la loi du 23 mars 2020 le législateur n'a subordonné à un taux de participation minimal la répartition des sièges au conseil municipal à l'issue du premier tour de scrutin dans les communes de mille habitants et plus, lorsqu'une liste a recueilli la majorité absolue des suffrages exprimés. Le niveau de l'abstention n'est ainsi, par lui-même, pas de nature à remettre en cause les résultats du scrutin, s'il n'a pas altéré, dans les circonstances de l'espèce, sa sincérité.
En l'espèce, M. B... D... fait seulement valoir que le taux d'abstention s'est élevé à 56,07 % dans la commune, sans invoquer aucune autre circonstance relative au déroulement de la campagne électorale ou du scrutin dans la commune qui montrerait, en particulier, qu'il aurait été porté atteinte au libre exercice du droit de vote ou à l'égalité entre les candidats. Dans ces conditions, le niveau de l'abstention constatée ne peut être regardé comme ayant altéré la sincérité du scrutin. »
Reprenant là aussi les termes du Conseil constitutionnel, le Conseil d’Etat a considéré que le niveau d’abstention, en hausse par rapport aux scrutins précédents, ne pouvait à lui seul justifier l’annulation des opérations électorales en l’absence de circonstances particulières établissant que le scrutin a pu être altéré.
A suivre : L'application par les juges de première instance de la décision des juges de cassation
Le cabinet a été sollicité par une commune pour traiter une question similaire devant le tribunal administratif de Nîmes, affaire à suivre donc…
[1] CE, 25 mai 2020, Elections municipales de La Brigue, req. n°440217
[2] Cons. const., décision n°2020-849 QPC, 17 juin 2020
[3] TA Nantes, 9 juillet 2020, Élections municipales et communautaires de Malville, req. n°2004764
[4] TA Nantes, 9 juillet 2020, Elections municipales et communautaires d’Herbignac, req. n°2003258
[5] TA Rennes, 26 mai 2020, req. n°2002084
[6]CE, 15 juillet 2020, Elections municipales de Saint-Sulpice-Sur-Risle, req. n°440055