Par un arrêt « Commune de Rémire-Montjoly » du 19 mai 2021 (n°435109), le Conseil d’Etat a admis qu’en matière d’urbanisme, l’autorité publique pouvait bien avoir recours à la substitution de motifs pour sauver un acte de refus d’autorisation et qu’une telle substitution devait être déduite de ses écritures, sans qu’il n’appartienne nécessairement à cette dernière d’en formuler une demande expresse au juge de l’excès de pouvoir. Une telle faculté demeure admise en dépit de la rédaction récente des dispositions de l’article L. 424-3 du Code de l’urbanisme, obligeant la personne publique à indiquer l’intégralité des motifs justifiant sa décision de rejet ou d’opposition.
1 - En matière d’urbanisme, la loi Macron évaporée au profit de la jurisprudence « Hallal »
Les dispositions de l’article L. 424-3 du Code de l’urbanisme, issues de l’article 108 de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 dite loi « Macron », obligeant la personne publique à indiquer l’intégralité des motifs justifiant sa décision de rejet ou d’opposition, font-elles obstacle à ce que cette dernière substitue un nouveau motif à celui qu’elle avait d’abord opposé à tort au pétitionnaire ?
En l’espèce, le maire de la commune de Rémire-Montjoly, banlieue résidentielle de la ville de Cayenne en Guyane, avait pris un arrêté le 23 octobre 2015 par lequel il a refusé au requérant la délivrance d’un permis de construire une maison d'habitation sur les parcelles considérées, suivi d’une décision rejetant le recours gracieux de ce dernier le 30 mars 2016.
Comme dans des affaires similaires (voir par exemple : CAA Versailles, 24 mai 2018, Commune de Chaumontel, 17VE02320) le requérant a ainsi cherché à tirer une interprétation finaliste des dispositions de la loi Macron récemment adoptée, en y voyant un dispositif rendant irrecevable toute demande de substitution de motifs, dès lors qu’en omettant un motif même parfaitement valable l’administration méconnaitrait la lettre-même des dispositions législatives précitées.
Telle n’est pas la lecture de la Haute juridiction qui, pour trancher ce problème de droit, a préféré réduire la portée de ces dispositions et garantir la pérennité de la jurisprudence Hallal.
Pour mémoire, la substitution de motifs désigne une faculté consacrée en 2004, au terme de laquelle l’administration peut, en première instance comme en appel, faire valoir devant le juge de l'excès de pouvoir que la décision dont l'annulation est demandée, est légalement justifiée par un motif, de droit ou de fait, autre que celui initialement indiqué, mais également fondée sur la situation existant à la date de cette décision. Il appartient alors au juge, après avoir mis à même l'auteur du recours de présenter ses observations sur la substitution ainsi sollicitée, de rechercher si un tel motif est de nature à fonder légalement la décision, puis d'apprécier s'il résulte de l'instruction que l'administration aurait pris la même décision si elle s'était fondée initialement sur ce motif. Dans l'affirmative, il peut procéder à la substitution demandée, sous réserve toutefois qu'elle ne prive pas le requérant d'une garantie procédurale liée au motif substitué » (CE, sect., 6 février 2004, Hallal, n° 240560, Rec. ; décision commentée, point 2).
Cette position, affirmée pour la première fois par la section du contentieux dans le cadre de la présente affaire, n’apparait pas pour autant surprenante dès lors que le Conseil d’Etat avait incidemment retenu cette hypothèse dans son avis n° 417350 du 25 mai 2018 : « Il résulte de ce qui précède que, lorsque le juge annule un refus d'autorisation ou une opposition à une déclaration après avoir censuré l'ensemble des motifs que l'autorité compétente a énoncés dans sa décision conformément aux prescriptions de l'article L. 424-3 du code de l'urbanisme ainsi que, le cas échéant, les motifs qu'elle a pu invoquer en cours d'instance, il doit, s'il est saisi de conclusions à fin d'injonction, ordonner à l'autorité compétente de délivrer l'autorisation ou de prendre une décision de non-opposition ».
2 - Un maintien doublé d’un assouplissement de la jurisprudence « Hallal »
La faculté de demander une substitution de motifs avait déjà été consacrée en droit de l’urbanisme, le juge ayant pris soin de rappeler que celle-ci ne pouvait émaner que de l’initiative de l’auteur de la décision attaquée, écartant ainsi le tiers qui aurait intérêt à soulever cette demande (par exemple : CE 16 juillet 2014, SAS La Tourelle, n° 368784 ; 23 juillet 2014, Société Istres invest III, n°372515).
En outre et même si elle émane de l’administration qui en est l’auteur, la substitution de motifs ne peut être soulevée dans n’importe quelles conditions et notamment, ne saurait priver le pétitionnaire d’une garantie. Ainsi il a été jugé que lorsque le dossier de demande d'un permis de construire est incomplet l'administration ne peut rejeter cette demande sans avoir demandé au pétitionnaire de compléter son dossier. Par suite, la commune ne peut demander au juge de substituer à un motif erroné de rejet d'une demande de permis de construire un motif fondé sur l'insuffisance du dossier de demande dès lors que cette substitution aurait pour effet de priver le pétitionnaire de la garantie prévue par l'article R. 423-38 du code de l'urbanisme lui permettant de compléter son dossier (CAA Bordeaux, 20 février 2020, Commune de Rouffiac-Tolosan, 18BX03683).
Ces deux conditions qui résultent de la jurisprudence « Hallal » précitée, sont ainsi rappelées dans la décision commentée (point 2), sans toutefois que celle-ci ne se borne à en confirmer une teneur identique. Ainsi la Haute juridiction a entendu aller plus loin, en retenant que l’administration n’avait plus à formuler au juge de l’excès de pouvoir une demande explicite de substitution de motifs :
« 3. Il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que la cour administrative d'appel a estimé que la commune de Rémire-Montjoly avait fait valoir en défense devant elle que le refus de permis de construire était légalement justifié par le motif, autre que celui qu'elle avait opposé à M. A..., résultant de la circonstance que le projet de construction litigieux ne s'accompagnait pas de la mise en valeur ou de l'aménagement de l'ensemble de la parcelle lui servant d'assise comme l'exige le III de l'article NC 1 du règlement du plan local d'urbanisme. Dès lors que la cour avait ainsi apprécié la portée des écritures de la commune, comme il lui revenait de le faire pour déterminer si celle-ci pouvait être regardée comme faisant valoir un autre motif que celui ayant initialement fondé la décision en litige, de telle sorte que l'auteur du recours soit, par la seule communication de ces écritures, mis à même de présenter ses observations sur la substitution de cet autre motif au motif initial, elle ne pouvait sans erreur de droit exiger de la commune qu'elle formule en outre une demande expresse de substitution de motifs. »
Il résulte ainsi de cette affaire que la substitution de motifs peut prendre la forme d’un zeste subtilement (ou à l'insu de son plein gré) incorporé dans les écritures de l’administration défenderesse en cours d’instance, le juge estimant que la communication des écritures étant de nature à assurer le caractère contradictoire des débats et à préserver ainsi la garantie du requérant, qui est alors mis à même de présenter ses observations.
Dans cette affaire, la Haute juridiction a ainsi fait le choix de ménager la survie d’un acte administratif imparfaitement conforme à la loi mais régularisable, plutôt que d’opter pour son annulation sèche et la répétition âpre du procès contre l’acte nouveau, une telle mécanique étant de nature à engendrer une perte de temps pour l’administration, pour le pétitionnaire et pour les tribunaux.
En définitive, l’efficacité recherchée par la loi Macron a pu apparaitre dans une décision consistant – "en même temps" – à en neutraliser la portée. Ce paradoxe révèle ainsi un goût amer pour le requérant et une saveur aigre-douce pour les rédacteurs de ces dispositions, et met résolument du piment dans l’assiette de toute administration qui aime jouer avec le feu.
CE, 19 mai 2021, Commune de Rémire-Montjoly, n°435109.