Saisi d’une question tenant à la compétence juridictionnelle pour connaître d'une demande d'annulation d'une promesse de vente conclue par le titulaire d’une concession d’aménagement, le Conseil d’Etat apporte un éclairage intéressant sur la définition de concession et refuse d'étendre la catégorie des contrats administratifs aux contrats conclus par les sociétés publiques locales.
Sans cession, point d'exploitation. Sans exploitation, point de concession !
1-Sur le premier point, l'arrêt s'interroge sur la question de savoir si une promesse de vente constitue un contrat de concession de travaux auquel cas, le contrat pourrait être un contrat administratif par détermination de la loi dont pourrait connaître le juge administratif.
L'article 1er de l'ordonnance n°2009-864 du 15 juillet 2009 relative aux contrats de concession de travaux publics applicable en l'espèce comportait, en effet, une "bizarrerie juridique" consistant à qualifier de contrats administratifs tous ceux répondant à la définition de la concession de travaux en ce compris ceux conclus entre deux personnes privées[1].
L'on sait que sous l'empire de ce texte comme des textes suivants, la concession de travaux se caractérise par le fait que le concessionnaire se voit reconnaître un droit d’exploiter l’ouvrage (le cas échéant, assorti d’un prix) en contrepartie duquel il supporte le risque d'exploitation de ce dernier[2].
Le Conseil d'Etat précise alors que lorsque le droit d'exploiter les terrains cédés ainsi que les biens que le cocontractant du pouvoir adjudicateur y ferait édifier prend sa seule source dans le droit de propriété transféré par la cession, le critère onéreux de définition de la concession n’est pas rempli.
En pareil cas, le pouvoir adjudicateur ne consent pas un droit d'exploiter l'ouvrage et ne peut le faire puisqu'il a définitivement perdu la propriété de celui-ci.
Autrement dit, pour reconnaître un droit d'exploitation à son cocontractant sur un terrain et/ou un ouvrage, encore faut-il en disposer et en rester propriétaire.
La solution n'est pas tout à fait nouvelle mais reprend en réalité celle de l’arrêt Helmut Müller par lequel le juge européen avait déjà retenu que "pour qu’un pouvoir adjudicateur puisse transférer à son cocontractant le droit d’exploiter un ouvrage au sens de cette disposition, il faut que ce pouvoir adjudicateur puisse disposer de l’exploitation de cet ouvrage. Ce n’est pas normalement le cas lorsque le droit d’exploitation prend sa seule source dans le droit de propriété de l’opérateur concerné"[3].
Elle semble par ailleurs conforme à la définition même de la concession selon laquelle le droit d'exploitation doit être la contrepartie de la réalisation des travaux et ouvrages confiés au titulaire par le pouvoir adjudicateur. Or, dans le schéma d'une cession, il est la contrepartie du prix payé lors pour se voir transférer la propriété.
Très concrètement, s'agissant des cessions dites avec charges c’est-à-dire assorties d'une obligation de travaux devant répondre à des exigences fixées par un pouvoir adjudicateur, elle pourrait réduire considérablement les risques de requalification en concession de travaux.
Schématiquement, deux scenarii paraissent envisageables :
- Soit la cession s’accompagne d’une dation en paiement et/ou d’un prix inférieur à la valeur du bien cédé assimilable à un abandon de recettes ou d’une vente en l’état futur d’achèvement conclue en contrepartie d’un prix et, dans ce cas, elle constitue probablement un marché de travaux à condition d’en remplir les autres critères.
- Soit la cession ne s’accompagne d’aucun prix ou équivalent et, dans ce cas, elle peut être passée sans publicité ni mise en concurrence[4], certaines solutions jurisprudentielles tant internes qu'européennes pouvant néanmoins conduire à s'interroger sur la pertinence d'organiser une procédure de sélection préalable.
Reste toutefois que dans un cas au moins, celui de la concession d'aménagement, il est admis que le titulaire se voit reconnaître un droit d’exploitation alors même que l’autorité concédante n’est pas propriétaire des terrains et ouvrages concédés : la rémunération d’un aménageur consiste bien à commercialiser des terrains dont il a acquis la propriété par voie de préemption ou d’expropriation et donc, dont le pouvoir adjudicateur n’est pas propriétaire et ne le sera pas non plus au terme de la concession.
Doit-on en déduire que la concession d’aménagement, même lorsqu’elle est conclue avec transfert du risque économique de l’opération au titulaire, n’est pas une concession ? La réponse peut être positive si l’on considère qu’elle est seulement passée selon les procédures de passation applicables aux concessions tout en restant un contrat sui generis.
Autonomie des SPLA et absence de contrat administratif
2-De manière plus anecdotique, le Conseil d'Etat précise ensuite que les sociétés publiques locales titulaires de concessions d'aménagement disposent d'une autonomie qui empêchent de les considérer soit comme les mandataires de leurs actionnaires (hors convention), soit comme des entités transparentes lorsqu'elles concluent leurs propres contrats.
En premier lieu, l'arrêt confirme l’affaiblissement de la théorie du mandat administratif qui consistait à considérer que les titulaires des concessions d’aménagement devaient être regardés comme agissant tacitement au nom et pour le compte de la personne publique qui leur confiait le contrat[5].
Désormais, par principe, le titulaire d’une concession d'aménagement ne peut pas être regardé comme mandataire de celle-ci sauf si les clauses du contrat révèlent son intention de lui confier un tel mandat[6]. Tel n’est pas le cas dans cette affaire où la concession ne prévoyait pas que le concédant serait compétent pour décider des actes à prendre pour la réalisation de l'opération ni qu’il se substituerait à la société titulaire pour engager les actions en justice contre ses cocontractants et ne comportait aucun mandat explicite habilitant la société à agir en son nom et pour son compte.
En second lieu, le Conseil d’Etat refuse d’appliquer la théorie des associations transparentes à la société publique locale d’aménagement et retient que le contrat conclu par celle-ci ne doit pas être regardé comme conclu par l’actionnaire qui lui a confié la concession d’aménagement[7].
Au final, la promesse de vente conclue entre deux personnes privées est, très logiquement, un contrat de droit privé relevant de la compétence du juge judiciaire.
CE, 4 mars 2021, Société SOCRI Gestion, req. n°437232.
[1] Bizarrerie corrigée notamment par l’article L6 du code de la commande publique qui réserve cette qualification aux seuls contrats conclus par des personnes morales de droit public.
[2] Article L 1121-1 du code de la commande publique.
[3] CJUE, 25 mars 2010, Helmut Müller, aff. C-451/08.
[4] CE, 27 mars 2017, Société Procedim et Sinfimmo, req. n°390347.
[5] CE, 30 mai 1975, SERM, Rec., p. 326 ; T. confl., 5 juillet 1975, Commune d’Agde, Rec., p. 798
[6] T. confl. 15 octobre 2012, Société Port Croisade, n°3853 ; T. confl. 11 décembre 2017, Commune Capbreton, n°4103.
[7] CE, 21 mars 2007, Commune de Boulogne-Billancourt, req. n°281796 ; T. confl., 6 juillet 2020, Association de la Philharmonie de Paris, req. n°C4191.