Par un arrêt du 20 février 2020[1], la Cour administrative d’appel de Bordeaux a eu à juger d’un recours indemnitaire introduit par un concurrent évincé d’une procédure d’attribution dans le cadre duquel était notamment invoquée la neutralisation du critère technique.
Plus précisément, en vue de l’attribution du lot « isolation thermique extérieure » de l’opération de construction d’un bâtiment polyvalent à vocation périscolaire, l’acheteur avait indiqué mettre en œuvre deux critères, à savoir le prix, pondéré à hauteur de 80 % et, la valeur technique pour 20 %. Il ressort de l’arrêt qu’il était en outre précisé aux candidats s’agissant de ce second critère que « les caractéristiques indiquées dans le devis descriptif quantitatif correspondent à l'objectif recherché ; dans ce cadre, les caractéristiques définies sont des minimas à atteindre que l'entrepreneur se devra obligatoirement de respecter. / S'il propose des caractéristiques supérieures dans le devis (il joindra obligatoirement à sa proposition la ou les fiches techniques correspondantes), la valeur technique sera alors appréciée en considérant la pertinence des propositions effectuées par l'application d'une note qui variera entre 0 et 4 ». A l’issue de l’analyse des offres, il s’est avéré que toutes les offres se sont vu attribuer la note de 0 sur 4 pour la valeur technique au motif qu’aucun candidat n’aurait présenté des caractéristiques supérieures au devis descriptif quantitatif. En définitive, seul le critère du prix a donc été mis en œuvre pour sélectionner l’offre économiquement la plus avantageuse.
Statuant au seul « visa » des considérants de principe relatifs, d’une part, au lien causal devant être démontré entre le préjudice et la faute de l’acheteur[2] et, d’autre part, aux modalités d’indemnisation du candidat évincé[3], les juges du second degré ont considéré que « toutefois, cette méthode de notation, dont les candidats avaient connaissance, n’a eu pour effet, ni de réduire la portée du critère déterminant pour le pouvoir adjudicateur, en l’espèce le critère du prix, pondéré à 80 % ni d’éliminer l’offre économiquement la plus avantageuse » et ont écarté, de ce fait, le moyen.
Dès lors, et si nous comprenons le sens de cette décision – quelque peu elliptique – la juridiction a fait l’économie d’une analyse du bien-fondé du manquement invoqué en préférant relever que celui-ci n’avait pas eu d’impact sur l’analyse des offres et donc ne pouvait présenter un quelconque lien de causalité avec les préjudices allégués.
Pour autant, sur le fond, il est probable que le manquement soulevé ait été constitué.
Plus précisément, il convient de rappeler que si le pouvoir adjudicateur définit librement la méthode de notation des critères, elle ne doit pas être de nature à priver de leur portée les critères de sélection ou à neutraliser leur pondération et donc être susceptible de conduire, pour la mise en œuvre de chaque critère, à ce que la meilleure note ne soit pas attribuée à la meilleure offre ou au regard de l’ensemble des critères pondérés, à ce que l’offre économiquement la plus avantageuse ne soit pas choisie[4].
Plus encore, le pouvoir adjudicateur ne peut abandonner un critère au cours de la procédure[5].
Certes, attribuer une note identique ou la note maximale à l’ensemble des offres ne saurait être synonyme de neutralisation des critères[6]. Toutefois, cette circonstance suppose que les candidats aient effectué des offres présentant des caractéristiques de valeur similaire[7] au regard du critère et des éléments d’appréciation jugés.
Or, en l’occurrence, outre l’attribution d’une note similaire à l’ensemble des offres, la méthode de notation du critère de la valeur technique apparaissait particulièrement critiquable puisqu’il est possible qu’elle n’ait pas permis d’affecter la meilleure note à la meilleure offre.
Plus précisément, l’acheteur a choisi de ne valoriser que les propositions présentant des caractéristiques supérieures à ses exigences sans réellement apprécier la valeur technique de chacune des offres au regard des exigences "minimales".
Une telle modalité de jugement des offres semble produire les mêmes effets que la méthode de notation consistant à attribuer la note maximale aux offres respectant le cahier des charges[8] puisqu’elle ne permet pas de départager les offres entre elles au regard de leur valeur technique. Aussi, elle n’apparaît de nature à permettre d’affecter la meilleure note à la meilleure offre mais a pour effet de neutraliser le critère de la valeur technique. Il est donc possible que le manquement ait été constitué.
Néanmoins, il est probable qu’eu égard à l’importance notable mais limitée (1/5ème de la note finale) du critère de la valeur technique, ce manquement n’ait présenté aucun impact significatif sur le classement des offres.
Ce faisant, il ne s’agissait pas d’un manquement qui, pour la société requérante, présentait un lien de causalité avec les préjudices invoqués, d’où la solution rendue par la Cour administrative d’appel de Bordeaux.
Dans ces conditions, il est possible d’estimer que les juges d’appel ont neutralisé la neutralisation du critère de la valeur technique opérée par l’acheteur.
Si la solution apparaît in fine logique, d’aucuns et notamment les justiciables, dont au premier chef, la société requérante, pourraient reprocher aux juges d’appel une motivation écrite trop légère, voire expéditive.
Précisons qu’une toute autre interprétation de l’arrêt commenté conduirait à identifier une erreur de droit. En effet, les juges d’appel ne pouvaient bien évidemment pas considérer que le manquement tenant à la neutralisation du critère n’était pas bien-fondé au seul motif qu’il n’avait pas eu d’impact sur le choix de l’offre économiquement avantageuse.
En effet, force est de rappeler que l’irrégularité de la méthode de notation peut être appréciée au regard de l’offre économiquement la plus avantageuse mais également et surtout dans « la mise en œuvre de chaque critère ».
[1] CAA Bordeaux, 20 février 2020, SARL Les peintures d’Aquitaine, req. n° 18BX00552.
[2] CE, 10 février 2017, Société Bancel, req. n° 393720, Rec., T. ; CE, 6 avril 2018, Etablissement public Habitat Sud Atlantique, req. n° 402219.
[3] Et plus précisément le point de savoir si le candidat requérant était ou non dépourvu de toute chance de remporter le contrat : CE, 18 juin 2003, Groupement d’entreprises solidaires ETPO Guadeloupe, req. n° 249630, Rec. T.
[4] CE, 3 novembre 2014, Commune de Belleville-sur-Loire, req. n° 373362, Rec.
[5] CE, 27 avril 2011, Président du Sénat, req. n° 344244, Rec., T.
[6] CE, 25 mars 2013, Département de l’Isère, req. n° 364950, Rec. ; CE, 30 novembre 2011, Société DPM Protection, req. n° 350788, Rec. ; CAA Nantes, 19 octobre 2012, Société TTC Productions, req. n° 10NT02700.
[7] Cela ne signifie pas pour autant que les offres doivent être strictement identiques pour se voir attribuer la même note.
[8] Méthode de notation déjà censurée par le juge administratif : TA de la Réunion, ord., 17 février 2010, Société Assurco c/ Région de la Réunion, Contrats-Marchés publ. 2010, n° 248, obs. F. Llorens.