Par un arrêt Ministre des Armées du 10 juin 2020[1], le Conseil d’Etat a rappelé que « le pouvoir adjudicateur détermine librement la pondération des critères de choix des offres » en indiquant toutefois qu’« il ne peut légalement retenir une pondération, en particulier pour le critère du prix ou du coût, qui ne permettrait manifestement pas, eu égard aux caractéristiques du marché, de retenir l’offre économiquement la plus avantageuse ».
En d’autres termes, à l’instar du choix des critères d’attribution et de la méthode de notation, si l’acheteur dispose d’une large marge d’appréciation pour déterminer la pondération à y affecter, cette marge d’appréciation est néanmoins bornée par le principe selon lequel l’acheteur doit retenir l’offre économiquement la plus avantageuse au regard de l’objet du marché et de ses conditions d’exécution.
Cette précision est la bienvenue.
En effet, le choix des critères mais plus encore le choix de la pondération revêt un aspect politique (au sens large du terme). Plus précisément, même si la liberté est grande en matière de définition des critères[2], les acheteurs font rarement preuve d’originalité et optent le plus souvent pour des critères « classiques » (valeur technique, prix, délais, voire critères environnementaux et sociaux). C’est donc en définitive dans la pondération que l’acheteur dévoile son choix, à savoir s’il souhaite donner une importance plus ou moins grande à l’aspect financier ou aux aspects techniques.
Il apparaît donc nécessaire de conférer à l’acheteur une liberté dans la pondération des critères.
Néanmoins, cette liberté ne saurait être totale puisque l’acheteur doit toujours être guidé par la volonté de choisir l’offre économiquement la plus avantageuse.
Or, en fonction de l’objet du marché et de ses conditions d’exécution, certaines caractéristiques des offres[3] semblent plus cruciales que d’autres. A titre d’exemple, il est possible d’estimer que plus l’achat est standardisé, plus le poids du critère financier devrait être élevé dès lors que la valeur technique n’est pas susceptible de variations importantes d’un opérateur économique à un autre.
Il est donc logique que la pondération des critères fasse l’objet d’un contrôle restreint à l’erreur manifeste d’appréciation de la part du juge administratif.
Cela étant, compte tenu de l’aspect politique de l’achat public, il devra veiller à limiter son contrôle aux cas d’erreurs grossières sans excéder son rôle et donc sans procéder à un contrôle de l’opportunité de la pondération choisie.
Dans l’affaire commentée, la Cour administrative d’appel de Nantes avait censuré la procédure de passation lancée par le Ministre des Armées en vue de l’attribution d’un marché de prestations de formation au profit du personnel militaire notamment au motif que la pondération choisie (à savoir 10 % pour le critère du prix et 90 % pour la valeur technique) était « particulière disproportionnée » et donc « de nature à ce que l’offre économiquement la plus avantageuse ne soit pas choisie »[4]. Pour ce faire, les juges d’appel ont considéré que cela devait s’apparenter à une neutralisation du critère financier.
Si le Conseil d’Etat a censuré cet arrêt c’est surtout au regard du raisonnement juridique (voire sémantique), les juges d’appel n’ayant visiblement pas recherché l’erreur manifeste d’appréciation mais procédé à un contrôle de la proportionnalité et de la neutralisation du critère. Pour autant, il est probable que la solution de la Cour administrative d’appel de Nantes, rendue sur renvoi, sera similaire pour les parties.
Précisons, enfin, que cette décision rendue sous l’empire du code des marchés publics apparaît parfaitement transposable à l’interprétation des dispositions du code de la commande publique tant il est constant qu’elles n’ont pas évolué au gré des réformes et a fortiori à l’ensemble des procédures de passation et non uniquement à la procédure adaptée. De la même manière, si elle concerne un recours en contestation de la validité du contrat, il apparaît qu’elle est également transposable en matière de référés précontractuel et contractuel.
[1] CE, 10 juin 2020, req. n° 431194, Rec., T.
[2] Sous certaines réserves notamment celle de ne pas conférer à l’acheteur une liberté discrétionnaire : CE, 28 avril 2006, Commune de Toulouse, req. n° 280197, Rec., T.
[3] Pour mémoire, les critères et sous-critères de sélection des offres portent en principe sur des caractéristiques des offres (voir notamment G. Péllissier, concl. sur CE, 4 avril 2018, Ministre des Armées c/ Société Archimed, req. n° 416577).
[4] CAA Nantes, 29 mars 2019, Société Erics Associés et la société Altaris, req. n° 17NT01869.