Suite à la bataille juridictionnelle menée par notre cabinet, le Conseil d’Etat rend une importante décision (qui sera publiée au Recueil) et précise la théorie des biens de retour en particulier immatériels avant d’ordonner à l’ancien délégataire de restituer, entre autres, les accès aux pages des réseaux sociaux qu’il avait créées (CE, 16 mai 2022, Commune de Nîmes c/ Société Culturespaces, n° 459904 - à télécharger ci-dessous).
Le 31 octobre 2021, la délégation de service public relative à l’exploitation culturelle et touristique des Arènes, de la Maison Carrée et de la Tour Magne confiée par la commune de Nîmes à la société Culturespaces devait arriver à échéance.
Les biens nécessaires au fonctionnement du service devaient donc, à cette date, faire leur retour au sein du patrimoine de l’autorité délégante.
Toutefois, le 26 octobre 2021, le délégataire indiquait à la commune de Nîmes qu’il supprimerait, à compter du 31 octobre minuit, les différentes pages des réseaux sociaux (Facebook, Instagram, Twitter) créées et administrées pour la promotion des trois sites touristiques objet de la délégation auprès de leurs nombreux abonnés (près de 60 000 en cumulé !).
UNE CONTESTATION SERIEUSE ?
Alors que le Tribunal judiciaire de Marseille avait ordonné (ordonnance sur requête) à la société Culturespaces le 28 octobre 2021 de suspendre toute action qui entraînerait la suppression des communautés d’abonnés et contenus liés à ces pages de réseaux sociaux et, plus largement, d’assurer la conservation de l’ensemble des biens susceptibles d’être qualifiés de biens de retour, la commune a saisi le juge des référés du Tribunal administratif de Nîmes d’une requête en référé mesures utiles (RMU) sur le fondement de l’article L. 521-3 du Code de justice administrative afin que celui-ci qualifie de biens de retour, notamment, l’ensemble des biens immatériels liés à la délégation puis enjoigne au désormais ex-délégataire de les lui restituer sous astreinte (voir en ce sens CE, 5 février 2014, Sociétés Equalia et Polyxo, n° 371121).
Et, partant, de lui communiquer les identifiants et mots de passe pour accéder et gérer les pages des réseaux sociaux.
Par une ordonnance en date du 13 décembre 2021, le juge des référés n’a pas fait droit à cette demande en considérant, entre autres, qu’eu « égard à la nature et aux conditions de création des (…) biens matériels et immatériels en cause, qui doivent être envisagées compte tenu des stipulations (…) de l’article 20 du contrat, la question de savoir si ces biens peuvent être qualifiés, nonobstant le fait qu’ils ne sont pas mentionnés comme tels dans l’inventaire (…), de biens de retour de la concession devant revenir au délégant sans nécessité d’un accord du titulaire soulève une contestation qu’il n’appartient pas au juge des référés de trancher ».
PAS TANT QUE ÇA FINALEMENT !
Saisi d’un pourvoi en cassation formé par la commune de Nîmes, le Conseil d’Etat annule, d’abord, cette ordonnance.
En effet, après avoir rappelé le régime applicable aux biens de retour (CE, Ass., 21 décembre 2012, Commune de Douai, n° 342788 – CE, 26 février 2016, SICUDEF, n° 384424 – CE, 27 janvier 2020, Toulouse Métropole, n° 422104 – CE, 24 mars 2022, Commune de Toulouse, n° 449826), le Conseil d’Etat juge que :
« En retenant que les stipulations de la convention de délégation de service public étaient susceptibles de faire obstacle au retour gratuit à la personne publique de biens nécessaires au service créés au cours de la délégation et en s’abstenant de rechercher si les biens en cause étaient nécessaires au fonctionnement du service public, alors qu’il résulte des principes mentionnés au point précédent que, si les parties au contrat de délégation peuvent décider la dévolution gratuite à la personne publique d’un bien qui ne serait pas nécessaire au fonctionnement du service public, elles ne sauraient en revanche exclure qu’un bien nécessaire au fonctionnement du service public lui fasse retour gratuitement ».
Ainsi, dès l’instant où les biens de retour appartiennent ab initio à la personne publique et ne peuvent faire l’objet d’une quelconque soustraction, les stipulations d’un contrat ne peuvent avoir pour effet d’empêcher le retour d’un bien nécessaire au fonctionnement du service public dans le patrimoine de l’autorité délégante.
Réglant ensuite l’affaire au fond, le Conseil d’Etat estime que la circonstance selon laquelle certains des biens en litige étaient des biens incorporels ne s’oppose pas à ce qu’ils soient regardés comme des biens de retour et juge, comme la Ville de Nîmes le demandait depuis le début :
- En premier lieu, que le film relatif à la Maison Carré doit être qualifié de bien de retour dès lors qu’il était nécessaire à la réouverture de ce monument ;
- En deuxième lieu, que les décors des Grands Jeux Romains – pour lesquels la société Culturespaces affirmait qu’ils étaient protégés par une marque – doivent également l’être car ils ont été « à un moment donné de l’exécution » nécessaires au service et ils n’étaient nullement indissociables de cette marque (quand bien même ils ne seraient plus utiles ou utilisables) ;
- En troisième et dernier lieu, que les pages des réseaux sociaux doivent tout autant être qualifiées de bien retour dès l’instant où elles étaient – et sont toujours – nécessaires à la promotion des monuments touristiques et que le contrat mettait à la charge du délégataire leur gestion. Le Conseil d’Etat précise à leur sujet que « l’exploitation des pages en cause a été interrompue, alors qu’elles constituent, par leur ancienneté et les communautés d’abonnés qu’elles réunissent, un élément important de la valorisation des monuments, que le nouveau délégataire ne saurait reconstituer rapidement ».
Le Conseil d’Etat enjoint donc à l’ancien délégataire de restituer à la commune de Nîmes le support du film relatif à la Maison carrée, les décors des Grands Jeux romains et, surtout, les droits d’administration des pages des réseaux sociaux relatives aux monuments objet du la délégation de service public.
Et ce dans un délai de quinze jours et sous astreinte de 200 euros par jour de retard.
Comme quoi, récupérer son mot de passe Facebook auprès de son ex n’a finalement presque jamais paru aussi simple !