Ce 9 novembre 2022, la chambre criminelle, réunie en formation plénière, de la Cour de cassation a jugé que « la durée excessive d'une procédure ne peut aboutir à son invalidation complète, alors que chacun des actes qui la constitue est intrinsèquement régulier ».
Dans cette affaire dite « de la chaufferie de la Défense » dont les faits reprochés de corruption et de trafic d’influence concernant le renouvellement d’une DSP relative à la production et distribution de chauffage ont débuté en 2002, pour se poursuivre en 2003 avec une plainte pour abus de biens sociaux, puis entre 2004 et 2005 par des réquisitoires supplémentaires pour « des faits de recel, d'abus de biens sociaux et complicité de ce délit, de favoritisme et d'entente et de recel de ces infractions, et de faux et usage », la Cour d’Appel a, par arrêt en date du 15 septembre 2021, retenu partiellement ces chefs d’accusation et annulé les poursuites relatives aux faits de corruption, abus de biens sociaux et recel d'abus de biens sociaux en se fondant sur le dépassement du délai raisonnable de procédure empêchant dans le cas d’espèce aux prévenus d'assurer efficacement leur défense.
C’est ce point de droit qui nous intéressera ici.
En effet, pourvoi est notamment formé par le procureur général qui dans un 4ème moyen estime que le non-respect « d'un délai raisonnable pour statuer sur l'accusation d'une personne ne porte pas nécessairement atteinte aux principes de fonctionnement de la justice pénale et aux droits de la défense et ne compromet pas irrémédiablement l'équité du procès et l'équilibre des droits des parties et est en tout état de cause sans incidence directe sur la validité des procédures ».
La question est donc de savoir si le dépassement du délai raisonnable prescrit par le code de procédure pénale pouvait engendrer une extinction de la procédure.
Pour y répondre, la Cour de Cassation s’appuie sur la réglementation et la jurisprudence européenne qui pose le principe du droit à voir sa cause jugée dans un délai raisonnable, et ce en vue de ne pas laisser l’accusé « dans l'incertitude de la solution réservée à l'accusation pénale qui sera portée contre lui »[1], ainsi que sur sa jurisprudence constante[2] selon laquelle « le dépassement du délai raisonnable défini à l'article 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l'homme est sans incidence sur la validité de la procédure et ne saurait conduire à son annulation, sous réserve des lois relatives à la prescription ».
Elle estime, par ailleurs, que le fait de dépasser le délai dit raisonnable de jugement ne viole pas une règle d’ordre public et ne compromet pas le droit à la défense de l’accusé, ce dernier point étant corroboré par la jurisprudence européenne qui reconnait que l’accusé dispose de moyens face à une durée excessive de jugement[3].
Elle confirme cela d’autant que l’accusé dispose de différents moyens légaux pour contrer les lenteurs de procédure, tels que :
- Les articles 220 et 221-1 à 221-3 du code de procédure pénale relatifs aux pouvoirs du Président de la chambre d’instruction en cas de retard injustifié et à la possibilité pour les parties de saisir cette chambre après 4 mois suivant le dernier acte d’instruction afin que celle-ci poursuive elle-même l’information, la clôture ou la confie à un autre juge d’instruction.
- L’article 175-1 du code de procédure pénale qui permet aux parties de solliciter la clôture de l’information au juge d’instruction.
- L’article L.141-1 du code de l'organisation judiciaire sur les possibilités de réparation du préjudice subi par les parties du fait du fonctionnement défectueux du service public de la justice. La jurisprudence ayant reconnu que cela s’appliquait au cas de dépassement du délai raisonnable de jugement[4].
Par voie de conséquence, la Cour de Cassation juge que « doit être maintenu le principe selon lequel la méconnaissance du délai raisonnable et ses éventuelles conséquences sur les droits de la défense sont sans incidence sur la validité des procédures », les 20 années qui se sont écoulaient ne dispensant pas le juge d’examiner l’affaire au fond. Le juge disposant lui aussi de plusieurs moyens d’action ou obligations face à une durée excessive d’instruction :
- L’obligation de prendre en compte « l'éventuel dépérissement des preuves imputable au temps écoulé depuis la date des faits, et l'impossibilité qui pourrait en résulter, pour les parties, d'en discuter la valeur et la portée »,
- La possibilité, dans le cas où la comparution de l’une des parties serait durablement impossible du fait de son état, de fixer une audience pour statuer uniquement sur l’action civile après avoir ordonné une expertise pour constater cet état et ordonner la suspension et le sursis à statuer sur l’action publique,
- La possibilité de déterminer la peine voire d’en dispenser en prenant en compte ce dépassement.
Elle casse ainsi partiellement l’arrêt de la Cour d’Appel qui ne pouvait valablement déduire de la durée excessive d'instruction et de l'atteinte au bon fonctionnement de la justice pénale, l'annulation de la procédure pénale en cours.
[1] CEDH, arrêt du 8 juillet 2008, Kart c. Turquie, n° 8917/05, § 68
[2] Crim., 3 février 1993, pourvoi n° 92-83.443, Bull. crim. 1993, n° 57 ; Ass. plén., 4 juin 2021, pourvoi n° 21-81.656
[3] CEDH, arrêt du 24 janvier 2017, Hiernaux c. Belgique, n° 28022/15, § 45
[4] 1re Civ., 4 novembre 2010, pourvoi n° 09-69.955, Bull. 2010, I, n° 219