Avec l' arrêt Conseil d’Etat, 12 octobre 2020, Société Vert Marine, n° 419146, c’est la fin d’une « valse à trois temps » entre le Conseil d’Etat et la Cour de Justice de l’Union Européenne.
Par une décision du 14 juin 2019, le Conseil d’Etat avait sursis à statuer et posé deux questions préjudicielles à la Cour :
- Les règles de la commande publique, fixées par les articles 19 à 23 du décret n° 2016-86 du 1er février 2016 relatif aux contrats de concession et reprises aujourd’hui à l’identique par les articles R. 3123-16 à R. 3123-2 du Code de la commande publique, peuvent-elles ne pas offrir à un candidat à un contrat de concession visé par un motif d’exclusion, la possibilité d’apporter les preuves de sa fiabilité ?
- Les mécanismes français de mise en conformité sont-ils conformes à la directive 2014/23/UE du 26 février 2014 ?
Le 11 juin 2020, la Cour de Justice de l’Union Européenne a jugé qu’une réglementation nationale qui n’accordait pas la possibilité à un opérateur économique ayant fait l’objet d’une interdiction de plein droit de participer aux procédures de passation de contrats de concession en raison d’une condamnation pénale définitive, d’apporter la preuve qu’il a pris des mesures correctrices susceptibles de démontrer le rétablissement de sa fiabilité, est contraire au droit de l’Union (CJUE, 11 juin 2020, aff. C-472/19).
Elle a ensuite, d’une part, constaté qu’en droit français, il incombait à l’autorité judiciaire de prononcer le relèvement, la réhabilitation ou l’exclusion de la mention de la condamnation, seuls de nature à permettre au candidat de démontrer sa fiabilité retrouvée puis, d’autre part, laissé au Conseil d’Etat le soin de s’assurer de l’effectivité de ce mécanisme (i.e. l’opérateur est-il réellement en mesure d’apporter la preuve des mesures correctives qu’il a prises et les autorités judiciaires peuvent-elles évaluer le caractère approprié desdites mesures dans un délai compatible avec ceux imposés par les procédure de passation des contrats de concession).
Dans sa décision du 12 octobre 2020, le Conseil d’Etat prend acte des interprétations ainsi formulées par la Cour et juge que « le droit français doit prévoir la possibilité pour un opérateur économique lorsqu’il est condamné par un jugement définitif prononcé par une juridiction judiciaire pour une des infractions pénales (…) d’apporter la preuve qu’il a pris des mesures correctrices susceptibles de démontrer le rétablissement de sa fiabilité » et que « les différents dispositifs existants par ailleurs en droit pénal français » - le relèvement, la réhabilitation, l’exclusion de la mention de la condamnation au bulletin n° 2 du casier judiciaire – « ne peuvent être regardés, eu égard à leurs conditions d’octroi, notamment de délai, et à leurs effets, comme des dispositifs de mise en conformité » au sens de la directive.
De manière pragmatique, le Conseil d’Etat juge que sa décision « a nécessairement pour conséquence que dans l’attente de l’édiction des dispositions législatives et réglementaires nécessaires au plein respect des exigences découlant du droit de l’Union européenne, l’exclusion de la procédure de passation des contrats de concession (…) n’est pas applicable à la personne qui, après avoir été mise à même de présenter ses observations, établit dans un délai raisonnable et par tout moyen auprès de l’autorité concédante, qu’elle a pris les mesures nécessaires pour corriger les manquements correspondant aux infractions (…) pour lesquelles elle a été définitivement condamnée et, le cas échéant, que sa participation à la procédure de passation du contrat de concession n’est pas susceptible de porter atteinte à l’égalité de traitement ».
Des mesures transitoires avec lesquelles devront composer les autorités concédantes et la part de subjectivité qu’elles impliquent nécessairement…
Et ce dans l’attente de nouvelles dispositions législatives et réglementaires qui seront sans aucun doute scrutées de toutes parts…
Ne dit-on pas qu’une « valse à mille temps, c’est beaucoup plus charmant qu’une valse à trois temps » ? Jacques Brel