Par une décision « Société Constructions Bâtiments Immobiliers (CBI) » du 27 avril 2021 (n°437148), le Conseil d’Etat a clarifié les règles applicables en cas de substitution du titulaire défaillant, en retenant qu’il est loisible au maître d'ouvrage qui, après avoir mis en régie le marché, confie la poursuite de l'exécution du contrat à un autre entrepreneur, d'inclure dans ce marché de substitution des prestations tendant à la reprise de malfaçons sur des parties du marché déjà exécutées. Le cas échéant, le droit de suivi du titulaire initial du marché s'exerce sur l'ensemble des prestations.
1 - La simple reprise des malfaçons n’inclut pas, en principe, de droit de suivi du titulaire initial du marché
Lorsqu’il choisit de résilier le marché aux frais et risques du titulaire, le maître d’ouvrage peut-il inclure dans le marché de substitution – outre les prestations visant à l’achèvement des travaux –des prestations de reprise des travaux ? Le cas échéant, le droit de suivi du titulaire initial doit-il être étendu à l’ensemble des prestations de ce marché de substitution « élargi » ?
Infirmant la position de la Cour d’appel de Nantes, la Haute juridiction a retenu une réponse doublement positive dans une affaire « Société Constructions Bâtiments Immobiliers (CBI) ».
En l’espèce, le juge administratif a pris soin de rappeler le périmètre des marchés de substitution et donc du droit de suivi du titulaire sur les prestations réalisées par l’entrepreneur qui l’a substitué, tels qu’ils résultent des stipulations de l’article 49 du CCAG-Travaux de 1976 (reprises à l’article 52 du CCAG-Travaux de 2021 relatif aux mesures coercitives) et des principes généraux applicables aux contrats administratifs (CE, Ass., 9 novembre 2016, Société Fosmax LNG, n° 388806, Rec.)
Il résulte de ces stipulations que le maître d'ouvrage d'un marché de travaux publics peut, après avoir vainement mis en demeure son cocontractant de poursuivre l'exécution des prestations qu'il s'est engagé à réaliser conformément aux stipulations du contrat, décider de confier l'achèvement des travaux à un autre entrepreneur aux frais et risques de son cocontractant.
La Haute juridiction rappelle en outre que le cocontractant défaillant doit être mis à même de suivre l'exécution du marché de substitution ainsi conclu afin de lui permettre de veiller à la sauvegarde de ses intérêts, les montants découlant des surcoûts supportés par le maître d'ouvrage en raison de l'achèvement des travaux par un nouvel entrepreneur étant à sa charge.
Ainsi le droit de suivi appartenant au titulaire défaillant est intimement lié au contrôle du possible surcout attaché à la réalisation des prestations par un autre entrepreneur pour l’achèvement des travaux, sans toutefois constituer un droit de regard illimité. Ainsi le juge administratif avait déjà retenu que ce droit ne saurait aller jusqu’à permettre un contrôle de l’exécution d’office des mesures de conservation et de sécurité prescrites par le pouvoir adjudicateur – telles que la démolition des ouvrages mal construits – ces dernières apparaissant étrangères au strict « achèvement » des travaux (CE, 9 juin 2017, Société Entreprise Morillon Corvol Courbot, n° 399382).
Il en va de même pour les simples prestations de reprise, ce que le juge rappelle en énonçant que : « Si les contrats passés par le maître d'ouvrage avec d'autres entrepreneurs pour la seule reprise de malfaçons auxquelles le titulaire du marché n'a pas remédié ne constituent pas, en principe, des marchés de substitution soumis aux règles énoncées au point précédent (…) » (décision commentée, point 7).
En l’espèce, la difficulté tient à ce que le marché de substitution comprend à la fois des prestations visant l’achèvement des travaux et des prestations de reprise des malfaçons. Faut-il privilégier une séparation stricte et délicate des prestations suivant leur nature – achèvement / reprise – ou bien privilégier une solution plus commode ? C’est cette deuxième option qui sera retenue par la juridiction administrative.
2 - La réalisation concomitante de prestations d’achèvement et de reprise implique un droit de suivi du titulaire sur l’ensemble des prestations
Ainsi si la simple reprise des malfaçons semble se rattacher à la solution « Morillon » précitée, le caractère « mixte » des prestations du marché de substitution tend à l’inverse à poser de sérieuses questions de délimitations du périmètre des « malfaçons » de celui des « non-façons ».
Si cette délimitation est théoriquement aisée, il peut en aller différemment en pratique, au point qu’il est ainsi apparu commode de considérer que consacrer une sorte d’attractivité du régime des marché de substitution lorsque les prestations confiées au successeur dépassent ce strict cadre.
La Haute juridiction retient ainsi une nuance, selon que le marché conclu vise exclusivement à la reprise ou s’il a pour objet la reprise et l’achèvement de l’ouvrage : « (…) il est loisible au maître d'ouvrage qui, après avoir mis en régie le marché, confie la poursuite de l'exécution du contrat à un autre entrepreneur, d'inclure dans ce marché de substitution des prestations tendant à la reprise de malfaçons sur des parties du marché déjà exécutées. Dans ce cas, le droit de suivi du titulaire initial du marché s'exerce sur l'ensemble des prestations du marché de substitution, sans qu'il y ait lieu de distinguer celles de ces prestations qui auraient pu faire l'objet de contrats conclus sans mise en régie préalable » (décision commentée, point 7 in fine).
Une simplification bienvenue, conduisant toutefois à redoubler de vigilance dès lors que la méconnaissance de ce droit au suivi résultant par exemple d’un défaut de notification du marché de substitution « élargi » peut avoir pour conséquence une décharge de l’obligation du titulaire d’en régler le surcoût (CE, Sect., 17 mars 1972, Dame F…, n° 76453).
Conseil d’Etat, 27 avril 2021, Société Constructions Bâtiments Immobiliers (CBI) », n°437148.