Interview de Me Nicolas CHARREL
par Aude CAMUS et Mathieu LAUGIER
Simplification permanente, dématérialisation, modification des seuils, réforme des CCAG … Décidément, "codification" n'est pas synonyme de "cristallisation". Nicolas Charrel, auteur du tout premier code annoté et commenté, nous livre sa vision de l'évolution du droit de la commande publique et met en évidence ses enjeux... à plus long terme.
Nicolas Charrel vient de publier un code de la commande publique, annoté et commenté, aux Editions du Moniteur (à commander ICI). L'occasion est trop belle de demander à l'avocat de porter un regard critique sur la codification du droit de la commande publique...
La promesse de simplification à l’appui de la codification a été tenue ?
Me Nicolas Charrel - Avec des numéros d’articles à cinq chiffres à mémoriser, « simplification » ne me semble pas être, de prime abord, le terme adéquat. Il faut considérer que le texte est « clarifié » par le regroupement de l’ensemble des règles applicables à la commande publique dans un même corpus. Oui, dans ce sens-là, cela simplifie l’approche et la compréhension globale de la matière.
La codification a permis le regroupement de textes « accessoires » à la commande publique. D’autres auraient-ils mérité d'intégrer le code ?
Me Nicolas Charrel - Le regroupement opéré est satisfaisant. Cependant, le travail pourrait encore être à parfaire. Il serait nécessaire à terme, notamment de regrouper dans un même code l’ensemble de la réglementation concernant les concessions. Pour citer trois exemples significatifs : les délégations de services publiques sont des concessions, mais leur régime est encore, pour l’essentiel, dans le code général des collectivités territoriales, ce qui n’est pas très pratique ; les concessions d’aménagement relèvent, elles, du code de l’urbanisme ; la réglementation spécifique des concessions de plages mériterait également d’intégrer le code de la commande publique.
Quelle est votre position en ce qui concerne les CAO ?
Me Nicolas Charrel - Il me semble tout à fait logique que les règles spécifiques à chaque acheteur restent dans le code qui lui est dédié.
Pensez-vous que le texte relève d'une surtransposition du droit communautaire ?
Me Nicolas Charrel - Il n'ya pas eu surtransposition : cela signifierait un ajout de règles par rapport au droit européen sur des marchés de ce niveau. En ce qui concerne l’établissement de règles en dessous des seuils européens, cela fait débat depuis de nombreuses années. Je pense qu’il ne serait pas sain de s’exonérer de toute règle au vu du volume financier et numéraire que représentent ces marchés.
Le Gouvernement envisage de rehausser le seuil d’exception à 40 000 euros. Cette mesure est-elle nécessaire ou à contre-courant des principes de la commande publique ?
Me Nicolas Charrel - Je suis plutôt favorable à un relèvement de ce seuil. Lancer une mise en concurrence en respectant un formalisme au titre de la transparence, mais s’avérant excessif au vu des montants dérisoires de l’achat a des conséquences pernicieuses.
D’un côté, le phénomène de saucissonnage s’accroit. De l’autre, des pouvoirs adjudicateurs renoncent à l’achat en raison de la complexité de la procédure et/ou du manque de moyen humain pour la mener. Paradoxalement, cette élévation permet donc de libérer la commande publique.
En revanche, les acheteurs ne sont pas dispensés de respecter les grands principes. En effet, ils doivent se comporter en "bon père de famille". Il est essentiel de comparer les prix du secteur notamment à l’appui de plusieurs devis. L’acheteur doit être diligent et tendre vers un achat pertinent et efficace. Chez nos voisins européens, le seuil d’exception atteint parfois 100 000 euros. Certains Etats font même une distinction selon l’objet du marché. Qu’en pensez-vous ?
Me Nicolas Charrel - Le montant de 40 000 euros peut effectivement apparaître insignifiant dans le cadre de travaux. A l’inverse, il peut être perçu comme important pour des achats de fournitures et de prestations intellectuelles. Etablir un seuil différent en fonction de l’objet, à l’instar de la directive européenne sur les marchés entrant dans son champ, ce serait tout à fait cohérent !
Les CCAG doivent-il être réformés ou seulement mis à jour ?
Me Nicolas Charrel - En comparaison avec la préparation des CCAG de 2009, il y a eu cette fois-ci une véritable concertation des acteurs (fédération du bâtiment, ordre des architectes, direction des achats de l’Etat, association des acheteurs publics, MEDEF…). Des réflexions vont être menées jusqu’au printemps sur la création éventuelle d’un socle commun. En effet, on constate une absence de concordance entre ces documents généraux sur des problématiques communes, comme celle portant sur les délais de recours pour contester un décompte général ou encore celle sur la défaillance du mandataire d’un groupement conjoint.
Par ailleurs, il serait opportun de clarifier le rôle de chacun à l’occasion d’une procédure collective d’un titulaire. Que faire lorsque les cotraitants sont conjoints ou solidaires, – quand l’entreprise est en redressement ou en liquidation judiciaire avant ou après la levée des réserves ?… Le droit de la faillite a ses propres logiques et ses propres intervenants. En pratique, les règles de la commande publique sont ignorées. Le questionnaire lancé par la DAJ laisse envisager la création d'un CCAG-Maîtrise d’œuvre. Qu’en pensez-vous ?
Me Nicolas Charrel - Il s’agit selon moi d’une excellente idée. Actuellement, l’acheteur doit déroger à des dispositions du CCAG-PI pour pouvoir élaborer un marché de maîtrise d’œuvre. Quant aux architectes, ils sont en pratique soumis, lors d’une opération de construction ou de réhabilitation, à ce cahier des charges ainsi qu’au CCAG Travaux. Toutefois, la rédaction d’un CCAG-Maîtrise d’œuvre nécessite de se pencher sur la liaison entre les différents documents généraux.
Pensez-vous que la distinction marchés publics et concession soit toujours d’actualité ?
Me Nicolas Charrel - En effet, la prochaine directive pourrait être unique sur la commande publique. Il me semble également que la règle devrait être adaptable. Je rêve d’une directive 2024 qui transforme la règle "dure" en règle "souple" pour chacun des états, en particulier sur le libre choix de la procédure négociée... Que le texte renvoie des messages d’adaptation avec un choix des procédures pour respecter les grand objectifs définis après discussion au niveau européen sur le libre-échange, le développement durable … La procédure serait choisie au regard de la réponse à ces 3 questions : Pour qui ? Pour quoi ? Avec quels objectifs ?
Propos recueillis par Aude Camus et Mathieu Laugier
© achatpublic.info Par : Mme Aude Camus et Mathieu Laugier