En lien avec les dernières brèves sur l’impact de la hausse des prix et de la crise énergétique sur les marchés publics que nous avons publiées[1], le Conseil d’État vient de rendre un arrêt notable en matière de droit de l’énergie mais dont l’analyse pourrait être transposée, sous toutes réserves, en matière de droit de la commande publique.
Plus précisément, dans cette affaire, le Conseil d’État a été saisi d’une demande d’annulation de la délibération portant décision relative aux règles relatives à la programmation, au mécanisme d'ajustement et au dispositif de responsable d'équilibre prise par la commission de la régulation d’énergie (CRE), la requérante estimant que la hausse des prix ne constituait pas une circonstance exceptionnelle ou urgente justifiant l’absence de consultation préalable des gestionnaires des opérateurs réseau concernés.
Après avoir analysé les pièces du dossier et rappelé la procédure applicable au regard du droit de l’Union européenne et des dispositions du code de l’énergie, au vu de la délibération de la commission de la régulation d’énergie relative aux règles relatives à la programmation, au mécanisme d'ajustement et au dispositif de responsable d'équilibre, dites " règles MA-RE " qui prévoit la procédure applicable en cas de révision, la Haute Juridiction, par arrêt en date du 17 octobre 2022[2], a annulé la délibération litigieuse en considérant :
- en premier lieu que, tenant la teneur de la délibération attaquée qui institue des mesures d'urgence pour faire face à la crise, celle-ci revêt le caractère de modification telle que visée par le droit communautaire et doit donc être précédée d’une consultation préalable des opérateurs concernés ;
- en deuxième lieu, qu’une telle consultation constitue une garantie pour les opérateurs économiques et est susceptible d’influencer la délibération prise ;
- en troisième et il s’agit du point qui nous intéresse plus particulièrement, selon les juges du Palais-Royal, les délais dans lesquels l’augmentation du prix de l’électricité sur le marché de gros est intervenue et l'ampleur des conséquences financières qu’elles étaient susceptibles d’entraîner notamment pour l’ensemble des utilisateurs des réseaux de distribution d’électricité appelés à financer les pertes occasionnées en la matière ne sont pas « constitutives de circonstances exceptionnelles » ou ne sont pas « revêtues d'un caractère d'urgence de nature à justifier qu'aucune consultation n'ait lieu avant que ne soit prise la délibération attaquée ».
Par suite, le Conseil d’État a considéré que la délibération « a été prise à l’issue d’une procédure irrégulière ».
La crise énergétique et la hausse des prix qui en découle ne revêtent donc pas automatiquement un caractère exceptionnel ou urgent permettant de se délester des procédures légales.
La question de la transposition de cette appréciation en matière de droit de la commande publique se pose alors que l’ampleur et la brutalité de la hausse des coûts de l’énergie sont susceptibles de fonder, selon la doctrine administrative, des modifications contractuelles ou encore le versement d’indemnités[3].
Cela étant que les praticiens du droit de la commande publique se rassurent, si l’on réfère aux mentions du préambule du règlement (UE) 2017/2195 de la Commission du 23 novembre 2017 concernant une ligne directrice sur l’équilibrage du système électrique, le cas de ces circonstances exceptionnelles vise l’hypothèse particulière dans laquelle où « par exemple, la conformité à ces règles pourrait entraîner des risques pour la sécurité d’exploitation ou le remplacement prématuré d’infrastructures intelligentes du réseau »[4].
Pour autant, cette décision du Conseil d’État mérite d’être soulignée dès lors qu’elle porte une appréciation sur la qualification juridique de la situation économique que nous constatons tous actuellement.
En particulier, on peut donc légitimement se demander si le cas des « circonstances exceptionnelles » en droit processuel de l’énergie doit s’entendre de la même manière que le cas des « circonstances imprévisibles » ou, à tout le moins, « imprévues » en matière de droit de la commande publique… affaire à suivre !
[1] Pour consulter les brèves sur le sujet :
https://charrel-avocats.com/actualite/execution-des-contrats-de-la-commande-publique-face-la-crise
[2] Conseil d'État, 17 octobre 2022, n° 461073
[3] Circulaire BORNE du 29 septembre 2022 et fiche technique de la DAJ du 21 septembre 2022
[4] Point 18 du préambule du règlement (UE) 2017/2195 de la Commission du 23 novembre 2017.