L’ordonnance n°2020- 427 du 15 avril portant diverses dispositions en matière de délais pour faire face à l'épidémie de covid-19 est venue aménager et compléter les règles relatives aux délais édictées dans deux ordonnances précédentes du 25 mars 2020 (n°2020-306 et 2020-305). En plus de nos commentaires sur l'ensemble des ses dispositions, un commentaire thématique dédié aux contrats en particulier immobilier s'est avéré indispensable pour tenter de mieux comprendre ce que l'ordonnance considère comme avoir été incompris... (voir notre décryptage "Quand le #covid19 continue de mettre nos délais à rude épreuve") : quels sont les impacts pour le droit de rétractation, les conditions suspensives ?
Sur cette problématique délicate, qui s'ouvre sur tous les contrats d'ailleurs, nous avons ouvert notre site à un de nos notaires partenaires qui nous livre son interprétation de cette ordonnance qui veut faire comme avant, comme si, mais pas tout à fait, çà dépend...
Le droit de faire "comme si"
Puisqu’il faut désormais faire différemment, n’envisager « ni une suspension, ni une prorogation du délai initialement imparti pour agir », mais plutôt « permettre d’accomplir a posteriori ce qu’il a été impossible de faire pendant la période d’urgence sanitaire augmentée un mois », autrement dit de faire « comme si le délai avait été respecté » (extrait Rapport au Président de la République relatif à l’ordonnance n°2020-427 du 15 avril 2020 portant diverses dispositions en matière de délais pour faire face à l’épidémie de covid-19 JORF 16 avril 2020) : c’est qu’il ne faut donc pas faire comme avant !
Alors faire « comme si » dans la période actuelle c’est en quelque sorte considérer que l’écoulement du temps est créateur d’un nouveau droit, le droit d’être « réputé (d’)avoir été fait à temps » (article 2 l’ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020).
Seulement ce droit d’être « réputé (d’)avoir été fait à temps » ne concerne que les formalités et diligences prescrits par la loi ou le règlement et qui plus est celles qui le sont à peine d’une sanction ou de la déchéance d’un droit. L’ordonnance n°2020-427 du 15 avril 2020 vient à ce titre apporter une exclusion interprétative bien venue en ce qui concerne le droit de rétractation prévu à l’article L. 271-1 du Code de la construction et de l’habitation. En effet, et dans le silence de la circulaire du 26 mars 2020 sur ce point, une interprétation peut être hâtive du texte de l’ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020, confortée par les appuis doctrinaux avisés, nous a conduit à penser que le droit de rétractation légal prévu à l’article L. 271-1 du Code de la construction et de l’habitation était concerné par le report de délai prévu par l’article 1 de ladite ordonnance. Dans ce contexte, et afin d’apporter aux parties une meilleure lisibilité calendaire dans la réalisation de leur projet immobilier, nous avons fait le choix, par l’insertion de dispositions contractuelles spécifiques, d’écarter dès la signature de l’avant-contrat régularisé après le 12 mars, la faculté de report qui nous semblait offerte par le texte. Autrement dit, le bénéficiaire d’une promesse de vente acceptait dès la signature de l’avant-contrat de renoncer aux modalités différées de l’exercice de son droit de rétractation. Cette solution ayant été accueillie favorablement tant par le promettant que par le bénéficiaire, l’ajout d’un nouvel alinéa par l’ordonnance n°2020-427 du 15 avril 2020 excluant expressément notamment l’application de ce délai de l’article 2 constitue assurément une simplification du processus contractuel sur ce point.
... mais pas totalement
Pour autant, nous ne pouvons que regretter que ce « comme si », n’ait pas été étendu aux dispositions contractuelles. En effet, et puisque nous ne faisons pas comme avant en ce qui concerne les formalités et diligences prescrits par la loi ou le règlement, pourquoi ne pas également le faire en ce qui concerne les dispositions contractuelles ? Dit autrement, pourquoi ne pas avoir fait le choix d’une application uniforme du régime dérogatoire ?
Cette application uniforme du droit d’être « réputé (d’)avoir été fait à temps » aurait été une source de simplification dans l’appréciation du temps du contrat, où s’entremêle et se superpose un temps quantitativement objectif prévu par la loi ou le règlement (délai légal d’obtention d’une autorisation d’urbanisme) et un temps plus subjectif adapté à la volonté des parties à l’acte (délai de réalisation d’une condition suspensive).
Précisément, la question se pose avec tout autant de récurrence que d’acuité depuis le 12 mars dernier en ce qui concerne les délais de réalisation prévus pour les conditions suspensives conventionnelles. En effet, le report légal de certaines démarches administratives en matière d’urbanisme notamment, ne permet pas de proroger d’autant le délai conventionnel prévu au titre de la condition suspensive correspondante. L’accord des parties doit donc être à nouveau requis pour obtenir une prorogation conventionnelle du délai de réalisation de la condition suspensive, laquelle, rappelons-le, et sauf aménagement conventionnel spécifique (article 1304-4 du Code civil) rend l’avant-contrat caduque dès sa défaillance. Au demeurant, si la mise en forme de cet accord entre particuliers ne pose pas de difficulté particulière, il semble pour l’heure difficilement envisageable de recueillir l’accord des institutionnels publics engagés dans des liens contractuels. En effet, l’autorité exécutive d’une personne publique n’ayant en matière contractuelle pas d’autres pouvoirs que ceux qui lui ont été limitativement confiés par l’assemblée délibérante, il va s’avérer impossible de régulariser quel qu’accord de prorogation que ce soit sans qu’une nouvelle assemblée délibérante puisse à nouveau se prononcer.
... çà dépend
Dans ce contexte, pourquoi ne pas dès lors envisager une application de l’article 4 de l’ordonnance du 25 mars 2020 ? Plus précisément, peut-on considérer qu’une condition suspensive conventionnelle puisse être assimilée à une « clause prévoyant une déchéance » prévue par ledit article 4 alinéa 1er ?
L’enjeu est de taille, puisqu’il permettrait d’avoir une assise légale au report des délais conventionnels prévus en matière de condition suspensive.
Alors il n’y a pas d’ambiguïté sur le fait que cet article s’applique aux dispositions contractuelles. En outre, le Professeur MEKKI considère pour sa part qu’il s’agirait d’une « catégorie ouverte » (AJ Contrat Dalloz, avril 2020) à laquelle pourrait être rattaché le droit d’option en matière de promesse unilatérale de vente.
Au demeurant, l’article 4 alinéa 1er prévoit également que cette « clause prévoyant une déchéance » doit avoir pour objet de « sanctionner l’inexécution d’une obligation dans un délai déterminé ». Classiquement, la défaillance de la condition suspensive est sanctionnée par la caducité du contrat qui en constitue le support. La condition a donc par là même un effet direct sur le contrat (Projet d’ordonnance portant réforme du droit des contrats, articles choisis, Revue des contrats septembre 2015). Mais pour autant l’obligation en elle-même existe avant de devenir pure et simple à compter de l’accomplissement de la condition suspensive (article 1304-6 du Code civil). Autrement dit si son effectivité dépend de la réalisation de la condition, l’obligation est en gestation et n’en demeure pas moins en tant que droit éventuel (Leçon de droit civil, Obligations, théorie générale, François CHABAS). Il y aurait donc bien dès la création du lien contractuel, un lien de droit, une sorte de « situation dégradée » (« la situation juridique définitive est l’aboutissement des situations dégradées qui la précèdent et la préparent » Leçon de droit civil, Obligations, théorie générale, François CHABAS).
En d’autres termes, si l’on souscrit à la thèse de la théorie de l’obligation en gestation (sachant que la réforme du droit des contrats n’a pas mis fin à ce débat doctrinal), le non-respect du délai prévu pour la réalisation de la condition suspensive constituerait une déchéance qui sanctionnerait l’obligation en gestation souscrite lors de la signature de l’avant-contrat.
Au final, tout ceci ne fait que mettre en lumière la vulnérabilité temporelle de nos idées conventionnelles créatrices qui restent fragilisées par une agitation calendaire de circonstance. Plus que jamais il faut se rappeler qu’ « Une des premières vertus juridiques, c’est bien la sobriété » Philippe MALAURIE, La pensée juridique de Jean Carbonnier, Répertoire Defrénois n°22/05 doctrine 38271.
Céline BARTOLOMEO, Notaire Associé
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