Lorsque l’on ouvre un dictionnaire pour chercher le sens de « l’impartialité », l’on tombe sur la définition suivante : « qualité, caractère de quelqu’un qui n’a aucun parti pris ou de ce qui est juste, équitable : juger avec impartialité ».
L’impartialité est fondamentale en droit de la commande publique.
En effet, l’article L. 3 du Code de la commande publique dispose que « les acheteurs et les autorités concédantes respectent le principe d'égalité de traitement des candidats à l'attribution d'un contrat de la commande publique. Ils mettent en œuvre les principes de liberté d'accès et de transparence des procédures, dans les conditions définies dans le présent code ».
Et, depuis une décision du 14 octobre 2015, Société Applicam n° 390968 (voir lien ci-dessous), le Conseil d’Etat considère « qu'au nombre des principes généraux du droit qui s'imposent au pouvoir adjudicateur comme à toute autorité administrative figure le principe d'impartialité, dont la méconnaissance est constitutive d'un manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence ».
Ériger en principe général du droit le principe d’impartialité a bien entendu vocation à garantir la légalité du processus d’achat public à travers la transparence des procédures et la nécessaire égalité de traitement entre les candidats.
ACHETEURS – JUGE – SOUMISSIONNAIRES – ATTRIBUTAIRES : TOUS CONCERNES !
De longue date, les acheteurs publics ont à leur disposition différents outils pour prévenir et remédier à une éventuelle partialité et ils sont tenus de les utiliser pour éviter toute situation de conflit d’intérêts.
A ce titre, l’on rappellera brièvement qu’ils doivent, sur le fondement des articles L. 2141-7 et suivants du Code de la commande publique, et plus spécifiquement sur celui des articles L. 2141-8 et L. 2141-10, exclure les candidats ayant « entrepris d’influer indûment sur le processus décisionnel (…) ou d’obtenir des informations confidentielles susceptibles de leur donner un avantage » ou ayant « eu accès à des informations susceptibles de créer une distorsion de concurrence » du fait de « leur participation directe ou indirecte à la préparation de la procédure ».
Une situation de conflit d’intérêts sera caractérisée lorsqu’une personne, d’une part, dispose directement ou indirectement d’un intérêt financier, économique ou de tout autre intérêt personnel qui pourrait compromettre son impartialité ou son indépendance et, d’autre part, participe au déroulement de la procédure de passation ou est susceptible d’en influencer l’issue de la procédure.
Plusieurs décisions illustrant l’analyse in concreto que le juge administratif réalise pour déterminer si un défaut d’impartialité est avéré ont été rendues en 2021.
Pour des réponses négatives, l’on citera la décision du Conseil d’Etat du 20 octobre 2021, Commune du Pradet n° 450653 (voir lien ci-dessous : le seul fait que le Maire d’une commune ait été antérieurement administrateur de l’attributaire en qualité de représentant de la personne publique ne suffit pas) ou l’arrêt de la Cour administrative d’appel de Paris du 8 octobre 2021, Société A2EP Géotech et Gemco n° 19PA02710 (voir lien ci-dessous : le fait qu’un maître d’œuvre et l’attributaire soient domiciliés à la même adresse et que leurs gérants portent les mêmes patronymes ne suffit pas non plus).
Pour une réponse positive, l’on mentionnera la décision du Conseil d’Etat du 25 novembre 2021, Société Corsica Networks n° 454466 (voir lien ci-dessous : le fait qu’un technicien en charge du dossier ait auparavant exercé des fonctions d’ingénieur-chef de projet au sein de la société attributaire trois mois avant l’attribution du marché constitue une situation de conflit d’intérêts faisant naître l’existence d’un doute sur l’impartialité de la procédure, lequel suffit et ce même si l’intéressé n’a pas signé les documents afférents à la procédure).
Les acheteurs publics et le juge administratif ne sont pas les seuls à avoir un rôle à jouer dans la garantie de l’impartialité de l’achat public.
En effet, les candidats – soumissionnaires ou attributaires – sont également concernés.
On pense naturellement aux assistants à maîtrise d’ouvrage auxquels ont souvent recours les acheteurs afin d’obtenir un « conseil spécialisé dans un domaine technique, financier, juridique ou administratif » au sens de l’article L. 2422-2 du Code de la commande publique et qui sont la plupart du temps en charge de l’analyse des candidatures et des offres et amenés à connaître de nombreuses informations, dont certaines sont susceptibles d’être couvertes par le secret des affaires en matière industrielle et commerciale.
Toutefois, l’article L. 2132-1 du Code de la commande publique est très clair et dispose que « l'acheteur ne peut communiquer les informations confidentielles dont il a eu connaissance lors de la procédure de passation, telles que celles dont la divulgation violerait le secret des affaires, ou celles dont la communication pourrait nuire à une concurrence loyale entre les opérateurs économiques, telle que la communication en cours de consultation du montant total ou du prix détaillé des offres ».
Un manquement au principe d’impartialité peut donc également être consécutif à une violation du secret des affaires : soit que la transmission d’informations protégées à ce titre est susceptible de méconnaître l’égalité de traitement entre les candidats, soit qu’une telle transmission exerce une influence sur le processus d’achat (attention cependant puisque dans une décision du 9 juin 2021, Société Lorany Conseils n° 449643, le Conseil d’Etat a estimé que le juge peut se fonder sur des pièces transmises alors même qu’elles étaient couvertes par le secret des affaires, dès l’instant où elles ont pu être « discutées contradictoirement par les parties » - voir lien ci-dessous).
LE JUGE DU REFERE SECRET DES AFFAIRES UN PEU MOINS…
Précisément afin de prévenir toute violation du secret des affaires – et donc toute partialité d’une procédure de passation – le décret n° 2019-1502 du 30 décembre 2019 a créé un référé en matière de secret des affaires dans le Code de justice administrative.
L’article R. 557-3 dudit Code prévoit ainsi, notamment, que « lorsqu’il est saisi aux fins de prévenir une atteinte imminente ou faire cesser une atteinte illicite à un secret des affaires, le juge des référés peut prescrire toute mesure provisoire et conservatoire proportionnée, y compris sous astreinte. Il peut notamment ordonner l’ensemble des mesures mentionnées à l’article R. 152-1 du code de commerce ».
Plusieurs ordonnances ont été rendues depuis l’instauration de ce nouvel outil à destination préférentielle des soumissionnaires qui estimeraient que des assistants à maîtrise d’ouvrage seraient susceptibles de violer le secret des affaires (voir en ce sens, TA Nancy, 26 octobre 2020 SHAM n° 2002619, ou TA Montreuil, 1er juin 2021, Société Sofaxis n° 2106741, pour des injonctions adressées, indirectement, à des AMO d’interdiction d’accès à certains documents / éléments d’une candidature ou d’une offre - voir liens ci-dessous).
L’édifice législatif, réglementaire et jurisprudentiel construit depuis quelques années afin de garantir l’impartialité des procédures de passation des contrats de la commande publique avait donc fière allure.
Sans qu’il ne se soit bien sûr totalement effondré, cet édifice a néanmoins quelque peu perdu de sa superbe depuis la décision du 10 février 2022, CHU Pointe-à-Pitre c/ Abymes n° 456503 rendue par le Conseil d’Etat (voir lien ci-dessous).
Saisi par une société sur le fondement de l’article R. 557-3 du Code de justice administrative afin qu’il interdise l’accès d’un AMO à l’ensemble des documents déposés par les différents candidats et qu’il l’exclue de la consultation, le juge des référés du Tribunal administratif de la Guadeloupe a enjoint au CHU de Pointe-à-Pitre / Abymes « d’interdire, par tout moyen, l'accès de M. J... et de toutes les personnes travaillant au sein de la société ACAOP à l'ensemble des documents déposés par les soumissionnaires dans le cadre de la consultation en cause, suspendu l'analyse des offres ».
À la suite du pourvoi formé par le CHU, le Conseil d’Etat a de facto remis en question l’utilité du référé secret des affaires en jugeant que :
« Il résulte de l'instruction que la SHAM était tenue de communiquer, dans le cadre de la consultation en cause, des informations relatives au prix de son offre, lesquelles doivent être regardées, à ce stade de la procédure de passation, comme couvertes par le secret des affaires au sens des dispositions citées aux points 2 à 4. Si la SHAM fait valoir qu'elle s'est expressément opposée à ce que son offre soit communiquée à M. J..., dirigeant de la société ACAOP, et à l'ensemble des préposés de cette société, dont elle a sollicité l'exclusion de l'analyse des offres, en raison de relations étroites alléguées de M. J... avec une société concurrente, cette seule circonstance ne suffit pas, par elle-même, à caractériser un risque d'atteinte imminente au secret des affaires dès lors que la société ACAOP ainsi que son dirigeant et ses personnels sont tenus à une obligation contractuelle de confidentialité dans le cadre de leur mission d'assistance au maître de l'ouvrage ».
Et le Conseil d’Etat d’ajouter que :
« Il appartiendra à la requérante, si elle s'y croit fondée, de faire valoir notamment devant le juge du référé précontractuel tout manquement qu'elle aura relevé aux règles de publicité et de concurrence, tenant, le cas échéant, en une violation par le pouvoir adjudicateur du secret commercial ou de l'impartialité à laquelle celui-ci est tenu ».
En d’autres termes, c’est à l’acheteur et à lui seul de mener en amont l’ensemble des investigations qui doivent lui permettre de s’assurer de l’impartialité de sa procédure d’achat et l’on ne peut présumer de la partialité d’un AMO tenu à une obligation de confidentialité.
Si la solution peut dans l’absolu s’entendre, elle a pour effet de confier à nouveau le sort d’une procédure de passation au seul juge du référé précontractuel et empêche in fine un éventuel sauvetage « en cours de route ».
Et de faire sombrer le référé secret des affaires dans l’abîme.