Dans une décision « Commune de Carnin » du 11 décembre 2020, le Conseil d’Etat a considéré que la loi laissait au préfet du département le soin de fixer la répartition des agents repris à la suite d’une reprise de compétences d’un EPCI, dans la seule hypothèse d'une absence d'accord entre l'établissement public et les communes membres. La Haute assemblée a estimé que les dispositions en cause, résultant du IV bis de l’article L. 5211-4-1 du CGCT, étaient conformes à l’article 72 de la Constitution et rejeté la transmission de la QPC.
1. Réaffectation du personnel : exigence législative d’un accord entre les collectivités à la suite d’une décision de restitution de compétences d’un EPCI
Préalablement à la fusion d’une communauté de communes (« CC ») avec la métropole de Lille, une restitution des compétences non exercées par cette dernière devait intervenir entre la CC, la commune de Carnin et les autres communes membres.
C’est dans ce cadre qu’un accord devait nécessairement être conclu entre l’EPCI et ses communes membres, en application du IV bis de l’article L. 5211-4-1 du code général des collectivités territoriales (CGCT). Or à la suite de négociations quasiment achevées entre les collectivités concernées, la question de la reprise d’un agent habituellement affecté aux espaces verts demeurait sur la touche.
A ce titre, les dispositions contestées par la commune prévoient que les personnels qui avaient été transférés à l’EPCI ou recrutés par lui et qui étaient intégralement affectés à la mise en œuvre de la compétence restituée font l’objet d’une répartition entre les communes, définie d’un commun accord par une convention entre l’EPCI et les communes. A défaut d’accord dans un délai de trois mois à compter de la restitution des compétences, la répartition est fixée par un arrêté du préfet de département (CGCT, point 2° du IV bis de l’article L. 5211-4-1).
C’est précisément la fixation de cette répartition qui est contestée par la commune requérante, cette dernière estimant que les dispositions législatives en cause portent une atteinte disproportionnée au principe de libre administration des collectivités territoriales, issu de l’article 72 de la constitution.
2. Le moyen tiré d’une violation de l’article 72 de la Constitution ne présente pas de caractère sérieux
Le Conseil d’Etat a rappelé que l’exigence législative d’un accord entre les collectivités concernées poursuit une finalité d’intérêt général tenant à la continuité dans l'exercice des compétences transférées et à la protection des garanties que les agents tirent de leur statut, et qu’en l’absence d’un tel accord, l’effectivité de cette règle impliquait l’intervention du préfet (point 5 de la décision commentée).
A ce titre, le juge interprète les dispositions comme prévoyant des garanties suffisantes, dès lors que l’intervention du préfet est soumise à deux conditions :
- Le préfet n’intervient qu’en cas de blocage, résultant d’une absence d’accord entre les collectivités concernées durant une période supérieure à trois mois ;
- La répartition décidée par ce dernier obéit à une stricte nécessité de partage équilibré, qui tient compte des besoins effectifs de chaque commune au regard des conditions d'exercice de la compétence restituée et des ressources dont elle dispose, y compris celles résultant de la répartition des biens et de la redéfinition des relations financières avec l'EPCI en conséquence de la même restitution de compétence.
Par cette deuxième condition, résultant d’une interprétation dynamique de la loi à l’initiative du juge, le Conseil d’Etat a défini le cadre dans lequel l’arrêté préfectoral devait intervenir en application des dispositions législatives contestées.
Clôturant le paysage, le juge a pris soin de préciser que l’arrêté préfectoral portant répartition des personnels est soumis au contrôle du juge administratif compétent, dans le cadre d’un recours pour excès de pouvoir.
Dans ces conditions, l’intervention du préfet apparaissait non seulement constitutive d’une restriction proportionnée au principe de libre administration des collectivités, mais elle permettait surtout d’assurer les autres objectifs fixés dans l’article 72 de la Constitution : « dans les collectivités territoriales (…), le représentant de l'État, (…) a la charge des intérêts nationaux, du contrôle administratif et du respect des lois ».
Ainsi que le rappelle le rapporteur public dans cette affaire, le Conseil constitutionnel en déduit qu’il «appartient donc au législateur de prévoir l'intervention du représentant de l'État pour remédier, sous le contrôle du juge, aux difficultés résultant de l'absence de décision de la part des autorités décentralisées compétentes en se substituant à ces dernières lorsque cette absence de décision risque de compromettre le fonctionnement des services publics et l'application des lois » (décision n° 82-149 DC du 28 décembre 1982, §11 à 13 ; décision n° 2007-556 DC du 16 août 2007, §24).
C’est au terme de cette construction prétorienne du cadre légal applicable que le Conseil d’Etat a rejeté la QPC comme ne portant pas sur une question nouvelle.
Conseil d’Etat, 11 décembre 2020, Commune de Carnin, n° 436532.