Par une décision du 24 novembre 2023 (CE, 24 novembre 2023, Morlaix Agglomération, n°576301, inédit au recueil Lebon) le Conseil d’État, apporte un éclairage sur la marge de manœuvre dont dispose le pouvoir adjudicateur face à une offre dont le prix ferait application du mauvais taux de TVA
En l’espèce, le soumissionnaire – et attributaire du marché – appliquait dans son BPU un taux de TVA de 5,5%, là où un taux de 10% était indiqué dans son DQE. Le rapport d’analyse des offres (RAO) se basait sur les prix du BPU (TVA à 5,5%). Le taux légalement applicable étant de 10%, le pouvoir adjudicateur a alors lui-même rectifié l’offre de l’attributaire aux fins de retenir l’application du juste taux de 10%, révélé par un commentaire en ce sens sur le RAO.
Eu égard à ces éléments, le juge des référés précontractuels a estimé que :
« le pouvoir adjudicateur a, d'office et de lui-même, rectifié l'offre de la société attributaire, en appliquant le taux de TVA réellement applicable aux prestations, alors même qu'une telle erreur, qui affecte l'un des éléments substantiels de l'offre, ne peut s'apparenter à une simple erreur matérielle et sans même, au demeurant, faire application de la procédure de rectification des erreurs purement matérielles prévues par le règlement de la consultation » (Tribunal administratif de Rennes, ordonnance du 10 juillet 2023, n°2302971).
In fine, le TA de Rennes a considéré que la rectification du taux de TVA constituait un manquement aux obligations de mise en concurrence et de publicité et d’égalité de traitement des candidats, justifiant l’annulation de la procédure de passation.
Le Conseil d’État, statuant en appel dans cette affaire, a annulé l’ordonnance rendue par le juge des référés. En outre, il considère que :
« 3. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 2152-1 du code de la commande publique : " L'acheteur écarte les offres irrégulières, inacceptables ou inappropriées ". Aux termes de l'article L. 2152-2 de ce code : " Une offre irrégulière est une offre qui ne respecte pas les exigences formulées dans les documents de la consultation, en particulier parce qu'elle est incomplète, ou qui méconnaît la législation applicable notamment en matière sociale et environnementale ". Aux termes de l'article R. 2152-2 du même code : " Dans toutes les procédures, l'acheteur peut autoriser tous les soumissionnaires concernés à régulariser les offres irrégulières dans un délai approprié, à condition qu'elles ne soient pas anormalement basses. / La régularisation des offres irrégulières ne peut avoir pour effet d'en modifier des caractéristiques substantielles ". Aux termes de l'article R. 2165-5 du même code : " l'acheteur ne peut négocier avec les soumissionnaires. Il lui est seulement possible de leur demander de préciser la teneur de leur offre ". Enfin, aux termes de l'article 7.2 du règlement de la consultation : " L'attention des candidats est attirée sur le fait que toute offre irrégulière pourra faire l'objet d'une demande de régularisation, à condition qu'elle ne soit pas anormalement basse ".
4. Il ressort des énonciations de l'ordonnance attaquée que, pour juger que la communauté d'agglomération Morlaix Agglomération avait méconnu ses obligations de publicité et de mise en concurrence, la juge des référés a estimé, après avoir relevé d'une part que le montant de l'offre toutes taxes comprises (TTC) de la société Les Recycleurs Bretons, attributaire désigné, figurant dans le rapport d'analyse des offres, correspondait au prix hors taxes (HT) indiqué par la société augmenté de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) au taux de 5,5 %, d'autre part que le pouvoir adjudicateur avait noté en commentaire du rapport d'analyse des offres que la société avait indiqué sur le détail quantitatif estimatif un taux de TVA de 10 %, que le pouvoir adjudicateur avait ainsi rectifié de lui-même l'offre de la société attributaire. En statuant ainsi, alors qu'il ressortait du rapport d'analyse des offres, qui portait la mention " analyse des offres après demande de précisions ", que le pouvoir adjudicateur avait retenu le taux de TVA légalement applicable après avoir demandé à la société Les Recycleurs Bretons de rectifier son offre sur ce point, la juge des référés du tribunal administratif de Rennes a dénaturé les pièces du dossier. » (CE, 24 novembre 2023, n°576301, inédit au recueil Lebon)
Dès lors, et si les offres sont en principe intangibles (CE, 16 janvier 2012, Département de l’Essonne, n°353629), il apparaît qu’en présence d’une offre comportant une erreur sur le taux de TVA légalement applicable, le pouvoir adjudicateur peut procéder lui-même à la rectification de l’offre après avoir formulé une demande de précision en ce sens.
Cette décision appelle toutefois une remarque quant à la qualification exacte de l’offre comportant une erreur sur le taux de TVA, apparaissant, en l’espèce, ambiguë.
En effet, le CE se fonde sur deux procédures distinctes relatives à deux types d’offres différentes, en rappelant au considérant 3 :
- D’une part, les dispositions relatives à la régularisation d’offres irrégulières (des articles L. 2152-1, R. 2152-2 du Code de la commande publique) ;
- Et, d’autre part, celles relatives à la demande de précision (R.2161-5 du Code de la Commande Publique), qui s’applique aux offres « peu claires ou incertaines » à l’exclusion des offres irrégulières.
En d’autres termes, une offre erronée sur le taux de TVA légalement applicable constitue-t-elle une offre irrégulière régularisable ou s’agit-il d’une offre simplement incohérente « précisable » par le soumissionnaire ?
Les circonstances de l’espèce sont relativement particulières, puisque le soumissionnaire semble ne s’être trompé que sur le BPU. Ainsi, une incohérence figurait entre le BPU (TVA de 5.5%) et le DQE (TVA de 10%), motivant, semble-t-il, la demande de précision formulée en application de l’article R. 2161-5 du Code de la commande publique.
En tout état de cause, le juge administratif n’a pas considéré que la rectification de l’offre par l’acheteur aux fins d’appliquer le correct taux de TVA, après demande de précision en ce sens, entachait la procédure de passation d’un manquement aux obligations de publicité et de concurrence ou au principe de l’égalité de traitement entre les candidats.