Me Nicolas CHARREL interviewé par le site Achatpublic.Info pour apporter son éclairage sur l'arrêt récemment rendu par le Conseil d'Etat et commenté ci-après.
Retrouvez bientôt son intervention sur le site Achatpublic.info !
L’arrêt rendu le 28 février dernier, mentionné aux tables du Recueil Lebon vient confirmer sa méthode d’évaluation du préjudice né de l'éviction irrégulière d'une entreprise candidate à l'attribution d'un contrat public.
Dans cette affaire la commune de Saint Benoit a lancé une procédure ouverte de passation d’une convention de délégation de service public pour la gestion de son service de restauration municipale. La société Régal a déposé une offre, refusée par la commune.
La société a saisi le tribunal administratif de la Réunion d’un recours en contestation de la validité du contrat assorti d’une demande indemnitaire en réparation de son préjudice résultant du manque à gagner sur 10 ans et des frais engagés pour la présentation de son offre.
Le tribunal administratif, après avoir requalifié le contrat litigieux en marché public, a estimé que celui-ci était affecté de plusieurs vices présentant un caractère d’une particulière gravité, à savoir :
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l’absence de définition du contenu et des conditions de mise en œuvres des critères de sélection des offres,
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l’absence de publication d’un avis d’attribution de niveau européen.
En conséquence de quoi il a prononcé la résiliation du contrat.
La commune a saisi la cour administrative d’appel de bordeaux puis, face à la confirmation du jugement, s’est pourvue en cassation.
Pédagogue, le Conseil d’Etat rappelle à toutes fins utiles que :
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Pour avoir droit à réparation du fait de son éviction, le candidat doit démontrer l’existence d’un lien de causalité direct entre l’irrégularité et le préjudice invoqué[1],
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Pour être remboursé des frais engagés pour présenter son offre, le candidat doit démontrer qu’il n’était pas dépourvu de toute chance de remporter le contrat,
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Pour être indemnisé de son manque à gagner, le candidat doit démontrer qu’il avait des chances sérieuses de remporter le contrat.
Il reprend en cela sa méthode d’évaluation du préjudice né de l'éviction irrégulière d'une entreprise candidate à l'attribution d'un contrat public qu’il avait élaboré dès 2003[2]. Ainsi, lorsqu’une entreprise candidate à l’attribution d’un marché public demande la réparation du préjudice né de son éviction irrégulière de ce dernier, il appartient au juge :
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D’abord de vérifier si l’entreprise était ou non dépourvue de toute chance de remporter le marché,
1.a. Dans l’affirmative, l’entreprise n’a droit à aucune indemnité,
1.b. Dans la négative, elle a droit en principe au remboursement des frais qu’elle a engagés pour présenter son offre.
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Ensuite de rechercher si l’entreprise avait des chances sérieuses d’emporter le marché,
2.bis. Dans l’affirmative, l’entreprise a droit à être indemnisée de son manque à gagner, incluant nécessairement, puisqu’ils ont été intégrés dans ses charges, les frais de présentation de l’offre qui n’ont donc pas à faire l’objet, sauf stipulation contraire du contrat, d’une indemnisation spécifique.
En l’espèce, la Haute juridiction a considéré que la Cour n’avait pas commis d’erreur de droit ni dénaturé les pièces du dossier en estimant que les irrégularités dont étaient entaché le contrat n’avaient pas privé la société d’une chance sérieuse de l’emporter. Ce d’autant plus que, postérieurement à la résiliation du contrat en litige, cette même société a remporté un autre marché public de même objet (la gestion du service de restauration municipale) avec la commune !
Cependant le Conseil d’Etat a ensuite considéré que, cette circonstance, ajoutée au fait que la société avait été classée 2e lors de la procédure de conclusion du contrat de délégation en litige, démontrent que celle-ci n’était pas dépourvue de toute chance d’obtenir le marché. En conséquence, les conclusions indemnitaires présentées au titre des frais engagées pour la présentation de son offre auraient dues être accueillies.
[1] CE, 10 juillet 2013, Compagnie martiniquaise de transports, n° 362777
[2] CE, 18 juin 2003, Groupement d'entreprises solidaires ETPO Guadeloupe, Société Biwater et Société Aqua TP, n° 249630