Evaluation environnementale : coup de filet du Conseil d'Etat sur les petits projets hors-nomenclature mais présentant une incidence sur l'environnement ou la santé humaine.
Par une décision « France Nature Environnement Allier » du 15 avril 2021 (n°425424), le Conseil d’Etat a partiellement annulé le décret n° 2018-435 du 4 juin 2018 modifiant des catégories de projets, plans et programmes relevant de l'évaluation environnementale, en tant que ce texte ne prévoyait pas de « clauses filets » permettant de s’assurer qu’en dépit de leur faible ampleur, certains projets hors-nomenclature doivent tout de même donner lieu à évaluation environnementale lorsqu’ils présentent une incidence sur l’environnement ou la santé.
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La nomenclature des projets soumis à évaluation environnementale : un instrument juridique utile mais incomplet
Face à un projet de réalisation d’un équipement de moto-cross accueillant moins de mille personnes, l’autorité administrative peut-elle refuser de soumettre ce projet à évaluation environnementale alors qu’il apparait que celui-ci est susceptible de présenter une incidence sur l’environnement ou la santé ?
Tel est en substance le débat ayant conduit l’association « France Nature Environnement » de l’Allier (FNE Allier) à saisir le gouvernement d’une demande de modification du décret n° 2018-435 du 4 juin 2018, en tant que ce dernier met en place une nomenclature des projets soumis à évaluation environnementale classant ces derniers suivant leur ampleur et laissant ainsi échapper tout projet d’équipement accueillant moins de 1000 personnes.
L’association bien connue du prétoire du Conseil d’Etat estimait en effet que la nomenclature annexée à l'article R. 122-2 du code de l'environnement s’écartait de l’article L. 122-1 du code de l’environnement aux termes duquel « les projets qui, par leur nature, leur dimension ou leur localisation, sont susceptibles d'avoir des incidences notables sur l'environnement ou la santé humaine font l'objet d'une évaluation environnementale (…) », ainsi que de l'annexe III de la directive 2011/92/UE modifiée du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011 concernant l'évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l'environnement, identifiant les projets soumis à cette évaluation par un faisceau d’indices similaires (caractéristiques, localisation, types et caractéristiques de l'impact potentiel…).
Il pouvait ainsi apparaitre évident qu’en présence de faisceaux d’indices conduisant à relever une incidence sur l’environnement et sur la santé humaine, l’application d’une nomenclature réglementaire se bornant à les catégoriser suivant leur ampleur pouvait ainsi laisser échapper un nombre conséquent de ces projets à l’obligation d’évaluation environnementale.
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Annulation « en tant que ne pas » et injonction de modifier les dispositions réglementaires dans un délai de 9 mois
La solution était prévisible, en particulier à l’aune d’une jurisprudence du juge de l’Union européenne mettant en garde les Etats membres dont la législation ou la réglementation tendrait à dénaturer la portée des principes applicables à l’évaluation environnementale, en rappelant qu’en effet, « un projet de dimension même réduite peut avoir des incidences notables sur l’environnement et il ressort d’une jurisprudence constante que les dispositions de la législation de l’État membre qui prévoient l’évaluation de l’impact environnemental de certains types de projets doivent aussi respecter les exigences énoncées à l’article 3 de la directive 85/337 et prendre en compte l’effet du projet sur l’homme, la faune et la flore, le sol, l’eau, l’air ou le patrimoine culturel » (CJUE, 24 mars 2011, Commission c/ Belgique, C-435/09, § 50 et suivants).
Le pouvoir réglementaire était ainsi tenu de prévoir, outre la fixation des seuils et de la nomenclature litigieuse, des critères de sélection pertinents conformément à l’annexe III de la directive précitée.
C’est précisément en ce sens qu’il a été saisi d’une demande de l’association tendant à l’introduction d’une « clause filet », autrement dit de critères supplémentaires permettant de s’assurer que, le cas échéant, des projets de dimension inférieure aux seuils de la nomenclature ne puissent échapper aux prescriptions environnementales alors qu’ils présentent pourtant une incidence notable.
Ayant fait droit à cette demande, le Conseil d’Etat indique ainsi que : « Il résulte des termes de la directive, tels qu'interprétés par la Cour de justice de l'Union européenne, que l'instauration, par les dispositions nationales, d'un seuil en-deçà duquel une catégorie de projets est exemptée d'évaluation environnementale n'est compatible avec les objectifs de cette directive que si les projets en cause, compte tenu, d'une part, de leurs caractéristiques, en particulier leur nature et leurs dimensions, d'autre part, de leur localisation, notamment la sensibilité environnementale des zones géographiques qu'ils sont susceptibles d'affecter, et, enfin, de leurs impacts potentiels ne sont pas susceptibles d'avoir des incidences notables sur l'environnement ou la santé humaine. » (décision commentée, point 7).
La Haute juridiction a ainsi prononcé l’annulation du décret en tant qu'il exclut du champ de l'évaluation environnementale certains projets susceptibles d'avoir une incidence notable sur l'environnement ou la santé humaine, et invité le Premier ministre à prendre des dispositions réglementaires dans un délai de 9 mois.
Ainsi leurs seuils et la nomenclature fixés n’ont pas vocation à disparaitre, mais à être complétés par ladite « clause filet ».
Rarement filets et écologie n’auront fait aussi bon ménage.
Conseil d’Etat, 15 avril 2021, France Nature Environnement Allier, n°425424.