Par un arrêt du 26 janvier 2021, le Conseil d’Etat a précisé les conditions dans lesquelles les agents d’une collectivité publique pouvaient se porter candidats aux élections professionnelles organisées pour former les instances représentatives, en indiquant qu’une directrice générale adjointe des services (DGAS) ne disposait pas de l’indépendance nécessaire à sa candidature sur une liste présentée pour l’élection des représentants du personnel au sein du comité technique, celle-ci « ayant vocation à représenter la collectivité employeur ».
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« Devoir d’ingratitude »… ou d’indépendance des représentants du personnel incompatible avec les fonctions de représentation de l’employeur
« L'ingratitude est l'indépendance du cœur ». Cette idée exprimée au XVIIIe siècle par l’écrivain Nestor Roqueplan n’est pas restée vaine et a, au siècle dernier, embrassé le discours de M. Badinter qui proclamait un véritable « devoir d’ingratitude » des membres du Conseil constitutionnel à l’égard de celui qui les a nommés, ces derniers étant investis d’une mission devant présenter des garanties d’indépendance.
Loin de caractériser ce seul cas de figure, le devoir d’indépendance se retrouve également confronté à des hypothèses nouvelles et trouve ainsi une application renouvelée par le Conseil d’Etat, telle que celle de l’affaire commentée à propos des membres composant les instances représentatives du personnel de la communauté de commune « Cœur Côté Fleurie » (CE, 26 janvier 2021, Syndicat CFDT interco du Calvados, n°438733).
Peut-on en effet désigner n’importe qui au sein d’un comité technique représentant les agents d’une collectivité publique, y compris un agent recruté ou détaché sur un emploi fonctionnel de directeur général ou directeur général adjoint des services (DGAS), sans risquer de compromettre le fonctionnement de l’instance représentative du personnel ? Telle est en substance la question à laquelle le Conseil d’Etat a répondu par la négative.
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Inéligibilité des DGS et DGAS en qualité de représentants du personnel
Le 22 juin 2017 se tenait le scrutin d’une opération électorale organisée par la communauté de commune du Calvados, en vue de la désignation des représentants du personnel au sein du comité technique de cette collectivité. A cette occasion – et à la surprise des syndicats présents, y compris de la CFDT – la directrice générale adjointe des services s’était portée candidate sur une liste présentée à cet effet.
Sur recours du syndicat CFDT Interco du Calvados Est, rejeté par le président du bureau de vote de la communauté de commune puis par les juges du fond, le Conseil d’Etat a ainsi procédé à une interprétation dynamique des dispositions de l’article 9 bis de la « loi Lepors » n° 83-634 du 13 juillet 1983 (relatives aux élections professionnelles) et de celles des articles 11 et 12 du décret n°85-565 du 30 mai 1985 (relatives aux conditions d’éligibilité dans les comités techniques des collectives territoriales), celles-ci ne prévoyant pas expressément d’interdiction à ce qu’un DGS ou son adjoint puisse se porter candidat.
La Haute juridiction en déduit ainsi que : « pour l’application des dispositions citées ci-dessus, les agents détachées ou recrutés sur un emploi fonctionnel de directeur général ou de directeur adjoint des services d’une collectivité territoriale ou d’un établissement public de coopération intercommunale (EPCI) ne peuvent se porter candidats aux élections des représentants du personnel au sein du comité technique, dès lors qu’ils doivent être regardés, eu égard à la nature particulière de leurs fonctions, comme ayant vocation à représenter la collectivité ou l’établissement employeur » (décision commentée, point 6).
Ce faisant, le Conseil d’Etat traduit en droit de la fonction publique une position analogue à celle de son homologue judiciaire, qui a toujours refusé la qualité de candidat aux cadres exerçant ayant reçu délégation pour exercer des pouvoirs du chef d’entreprise (Cass. civ. 2ème, 24 novembre 1967) ou avait vocation à représenter l’employeur (Cass. soc., 18 mai 1983 ; Cass. soc., 5 mars 1986 ; Cass. soc. 6 octobre 1999).
Cette position convergente tend ainsi à ramener une certaine clarté dans la répartition de la composition de ces organes au sein desquels – en tout état de cause – l’employeur est conduit à siéger en qualité de président. Ce faisant elle évite un mélange des genres tendant à l’élection de personnel manifestement dépourvu d’indépendance à l’égard de l’employeur, permettant d’écarter à la fois le risque d’illégitimité et de dysfonctionnement de l’instance d’une part, et un risque « d’ingratitude » incompatible avec une fonction de représentation de l’employeur d’autre part.
CE, 26 janvier 2021, Syndicat CFDT interco du Calvados, n°438733