La liberté de manifester est indirectement protégée par l’article 10 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. Le Conseil Constitutionnel l’a consacrée en 1994 comme un « droit d’expression collective des idées et des opinions ». Elle jouit également d’une protection conférée par le droit international, à travers l’article 20 de la Déclaration universelle des droits de l’homme qui évoque la liberté de réunion et d’association pacifique, complété par l’article 21 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, ainsi que l’article 11 de la Convention européenne des droits de l’homme qui consacre un droit de « réunion pacifique ».
Cette liberté peut néanmoins être limitée par l’impératif de maintien de l’ordre, qui constitue le seul motif permettant de restreindre l’exercice par les individus de leur liberté de manifestation sur la voie publique. Cette limite est notamment posée par l’article L 211-4 du code de la sécurité intérieure qui permet aux préfets et aux maires de prononcer l’interdiction d’une manifestation lorsque sont redoutés des troubles à l’ordre public.
Ces restrictions sont soumises à un contrôle minutieux du juge administratif qui, en vertu d’une jurisprudence constante, censure les restrictions disproportionnées, sans limites dans le temps ni dans l’espace, ou sans rapport avec l’ampleur réelle des troubles redoutés.
C’est encore ce qu’a jugé le juge des référés du conseil d’Etat dans son ordonnance du 13 juin.
Les requérants sollicitaient du juge des référés qu’il suspende l’exécution des dispositions de l’article 7 du décret du 11 mai 2020, reprises à l’article3 du décret du 31 mai 2020, en tant qu’elles ne prévoient pas d’exception à l’interdiction qu’elles posent des rassemblements, réunions ou activités sur la voie publique ou dans un lieu ouvert au public mettant en présence simultanée plus de dix personnes pour les manifestations ou rassemblements dans l’espace public visant à l’expression collective des idées et des opinions, notamment syndicales.
Pour justifier que les mesures d’interdiction de rassemblement sur la voie publique, demeurent à ce jour nécessaires, adaptées et proportionnées à l’objectif de sauvegarde de la santé publique qu’elles poursuivent, le ministre des solidarités et de la santé a fait valoir :
- d’une part, que de tels rassemblements ne permettent pas de garantir l’application des mesures dites « barrières », lesquelles demeurent nécessaires dès lors que le virus reste en circulation.
- d’autre part, que, ne s’appliquant qu’aux rassemblements excédant dix personnes et pouvant recevoir des dérogations, individuelles ou réglementaires, accordées par le préfet, l’interdiction en litige n’est ni générale ni absolue et demeure proportionnée.
Le Conseil d’Etat commence par rappeler que ne sont pas contestés d’une part le fait que la situation sanitaire continue de justifier des mesures de prévention, et d’autre part le fait que l’organisation de manifestations sur la voie publique dans des conditions de nature à permettre le respect de ces « mesures barrières » présente une complexité particulière.
Toutefois, il ne résulte pas de l’instruction menée par la Haute juridiction qu’une telle organisation serait impossible en toute circonstance, sur l’ensemble du territoire de la République et pour toute manifestation, quelle qu’en soit la forme.
Il rappelle également que les recommandations du Haut Conseil de la santé publique du 24 avril 2020préconisé de faire dépendre le nombre de personnes en milieu extérieur de la distance et de l’espace, aucune restriction de principe, autre que celle du respect des mesures « barrières », n’est posée à la liberté d’aller et venir sur la voie publique.
Il rappelle enfin que l’avis du conseil scientifique du 8 juin 2020 indique que les indicateurs épidémiologiques rassemblées à la date du 5 juin 2020 par Santé Publique France se situent sur l’ensemble du territoire à un niveau bas et ne témoignent pas d’une reprise de l’épidémie, cette évolution s’inscrivant dans un contexte de baisse de la circulation du virus en France depuis plus de neuf semaines.
Le Conseil d’Etat conclut que l’interdiction des manifestations sur la voie publique mettant en présence de manière simultanée plus de dix personnes ne peut, dès lors, sauf circonstances particulières, être regardée comme strictement proportionnée aux risques sanitaires désormais encourus et appropriée aux circonstances de temps et de lieu, ainsi que l’imposent les dispositions de l’article L. 3131-15 du code de la santé publique.
En conséquence, l’interdiction contestée doit être regardée comme présentant un caractère général et absolu à l’égard des manifestations sur la voie publique, ne peut, à ce jour, être regardée comme une mesure nécessaire et adaptée, et, ce faisant, proportionnée à l’objectif de préservation de la santé publique qu’elle poursuit en ce qu’elle s’applique à ces rassemblements soumis par ailleurs à l’obligation d’une déclaration préalable.
Dans la droite ligne de cette décision, le juge du référé liberté du tribunal administratif de Versailles a également suspendu l’exécution d’une décision du maire d’une commune de refuser toute occupation du domaine public à l’occasion de la campagne électorale pour les élections municipales.
En l’espèce, une liste avait sollicité l’autorisation d’occuper temporairement le domaine public afin d’y installer du mobilier et d’y organiser diverses manifestations. La demande a été rejetée notamment au motif que des rassemblements de plus de dix personnes pouvaient apparaître.
Le juge administratif a relevé que, compte tenu de la police spéciale confiée au Premier ministre dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire, et en l’absence de circonstances locales particulières, un tel refus d’occupation n’est pas proportionné aux risques existants portant ainsi atteinte de manière grave et manifestement illégale à la liberté de manifester et à la liberté d’expression.