Dans une décision « Société Rudo Chantier » du 18 décembre 2020, le Conseil d’Etat a cassé un arrêt de la Cour d’appel de Paris, en retenant que l’avocat désigné par le titulaire d’un marché public peut, même sans avoir été formellement déclaré comme représentant de ce dernier en application des stipulations contractuelles, agir pour son compte. Partant, il appartenait aux juges du fond de rejeter la fin de non-recevoir tirée de l’absence de mandat de l’avocat pour contester le décompte général.
A la suite de l’exécution litigieuse d’un marché public de travaux, la Banque de France, en qualité de maitre d’ouvrage, a notifié un décompte général à la société Rudo Chantier, titulaire du marché. Ce décompte a été contesté au moyen d’un mémoire en réclamation présenté dans le délai de quinze jours fixé par l’article 18.6.3 du CCAG Travaux auquel se réfère le marché, par l’avocat de la société titulaire.
Or, devant la juridiction administrative compétente, la Banque de France a entendu opposer une fin de non-recevoir tirée de la méconnaissance des stipulations selon lesquelles le titulaire est tenu de désigner formellement la personne habilitée à le représenter, telles qu’elles résultent notamment de l’article 5.1.1 du CCAG-Travaux : « Le contractant, personne morale, (...) doit désigner expressément la personne physique qui le représente valablement ».
Ainsi la société titulaire, ayant omis de formuler une désignation formelle de son avocat en application des clauses du marché public, devait-elle être regardée comme ayant tacitement accepté le décompte général établi par le maitre d’ouvrage, en dépit du mémoire formulé par son avocat ?
Une telle solution, retenue par la Cour d’appel de Paris, a été écartée par le Conseil d’Etat. La Haute juridiction a en effet estimé qu’en dépit de l’inexécution des stipulations contractuelles générales et particulières du marché exigeant la désignation formelle des représentants du titulaire, celles-ci demeurent inapplicables à l’avocat, en raison des dispositions législatives et réglementaires régissant cette profession.
Ainsi il résulte des dispositions combinées des articles 4 et 6 de la loi du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques, et de l’article 8 du décret du 12 juillet 2005 relatif aux règles de déontologie de la profession d'avocat, que « sous réserve des dispositions législatives et réglementaires excluant l'application d'un tel principe dans les cas particuliers qu'elles déterminent, les avocats ont qualité pour représenter leurs clients devant les administrations publiques sans avoir à justifier du mandat qu'ils sont réputés avoir reçu de ces derniers dès lors qu'ils déclarent agir pour leur compte » (arrêt commenté, point 4).
Le juge retient, en outre que la Banque de France – personne publique sui generis – constitue une « administration publique » au sens des dispositions précitées.
Dans la foulée, la Haute juridiction souligne de manière plus explicite sa solution : « si ces dispositions ne dispensent par le titulaire du marché de désigner, en application des stipulations citées au point 3 de l'article 5.1.1 du CCAG et de l'article 1.2.6 du CCAP, une personne physique pour le représenter au cours de l'exécution du marché, l'avocat du titulaire du marché doit toujours être regardé, lorsqu'il s'adresse au maître d'ouvrage au nom de celui-ci, comme le représentant valablement, sans qu'il ait à justifier du mandat qu'il a reçu pour ce faire » (arrêt commenté, point 5).
Ainsi l’avocat peut valablement représenter le titulaire d’un marché public pour les actes relatifs à une procédure juridictionnelle, mais également pour toutes les formalités contractuelles telles que la présentation d’un mémoire en réclamation auprès du maitre d’ouvrage.
Cette solution invite les acheteurs publics à demeurer vigilants quant à l’application des clauses de leurs marchés publics, celles-ci pouvant être regardées comme partiellement inefficaces en raison de dispositions législatives et réglementaires particulières pouvant faire échec à leur application.
Conseil d’Etat, 18 décembre 2020, Société Rudo Chantier, n°427850.