La Commune de Toulouse avait décidé de confier à une association la gestion du musée de la photographie "La galerie du Château d'Eau" depuis 1985.
Suite à des difficultés financières, ladite association a été placée en redressement judiciaire, ce qui a généré un litige devant le Tribunal de Commerce concernant la propriété des fonds photographiques et documentaires, revendiquée par la Commune.
Par un jugement n° 2005649 du 2 février 2021, le tribunal a déclaré que les conventions conclues les 11 janvier 1985 et 4 mai 1987 sont des marchés publics, que les conventions conclues les 5 janvier 1998, 6 janvier 2003 et 29 janvier 2008 ainsi que l'ensemble contractuel conclu à compter de 2013 sont des conventions d'objectifs et de moyens assorties de subventions et a dit qu'il n'était pas en mesure de répondre à la question préjudicielle relative à la nature publique ou privée des biens dont il est demandé revendication devant le juge commissaire du tribunal judiciaire de Toulouse.
Saisi d'un pourvoi par la Commune, le Conseil d'Etat tranche deux questions.
1 - La convention, avec l'ensemble contractuel formé par les conventions d'objectifs et de moyens, doit-elle être qualifiée de marché public ou de délégation de service public ?
Dès lors qu'un contrat est conclu pour les besoins d'une personne publique soumise au code de la commande (art. L.2 du CCP), la haute juridiction analyse le mode de rémunération du contrat pour préciser :
- d'une part, qu' en vertu des dispositions du code des marchés publics en vigueur à la date des différentes conventions et reprises à l'article L. 1111-1 du code de la commande publique, un marché public est un contrat conclu par une personne publique pour répondre à ses besoins en matière de travaux de fournitures ou de services, en contrepartie d'un prix ou de tout équivalent ;
- et d'autre part, qu'il résulte du droit applicable aux dates des différentes conventions litigieuses, repris en substance à l'article L. 1411-1 du code général des collectivités territoriales et à l'article L. 1121-1 du code de la commande publique, qu'une délégation de service public est un contrat par lequel une collectivité territoriale confie la gestion d'un service public à un opérateur économique auquel est transféré un risque lié à l'exploitation du service, en contrepartie du droit d'exploiter ce service, éventuellement assorti d'un prix.
Le Conseil d'Etat rappelle également la définition des subventions (qui peuvent être requalifiées de contrats de la commande publique) tels que résultant des dispositions de l'article 9-1 de la loi du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations : " Constituent des subventions, au sens de la présente loi, les contributions facultatives de toute nature, valorisées dans l'acte d'attribution, décidées par les autorités administratives et les organismes chargés de la gestion d'un service public industriel et commercial, justifiées par un intérêt général et destinées à la réalisation d'une action ou d'un projet d'investissement, à la contribution au développement d'activités ou au financement global de l'activité de l'organisme de droit privé bénéficiaire. Ces actions, projets ou activités sont initiés, définis et mis en œuvre par les organismes de droit privé bénéficiaires. / Ces contributions ne peuvent constituer la rémunération de prestations individualisées répondant aux besoins des autorités ou organismes qui les accordent ". Comme le rappelle l'article L. 1100-1 du code de la commande publique, de telles subventions ne peuvent être regardées comme des contrats de commande publique.
Au cas d'espèce, la juridiction que la Commune a bien confié la gestion de la Galerie du Chateau d'Eau (anciennement exploitée directement par elle) à l'association à qui elle a "apporté des soutiens financiers significatifs et quantitativement importants à son cocontractant, celui-ci a toujours conservé un risque lié à l'exploitation de la galerie, son équilibre financier n'étant pas garanti par les sommes apportées par la commune. L'association a ainsi supporté les aléas de la gestion du musée et a subi des pertes d'exploitation ayant conduit à son placement en procédure de redressement judiciaire".
En conséquence de quoi, l'ensemble contractuel en cause doit bien être qualifié de délégation de service public et non pas de marché public contrairement à ce qu'avait initialement jugé le tribunal administratif de Toulouse.
2 - Quel est le régime des biens de cette délégation ?
Pour mémoire, dans une concession (et délégation de service public), plusieurs catégories de biens sont à distinguer :
- les biens de retour,
- les biens de reprise,
- et les biens propres.
S'agissant des biens de retour, il peut être brièvement rappelé que ces biens sont l'ensemble des biens, meubles ou immeubles, réalisés ou acquis dans le cadre d'un contrat de concession et qui sont, en principe, indispensables au fonctionnement du service (CE, Ass., 21 décembre 2012, Commune de Douai, n° 342788). Dans le silence de la convention, ces biens sont réputés appartenir à la personne publique dès leur réalisation ou leur acquisition. La jurisprudence a eu l’occasion de juger que lorsqu’un bien a été nécessaire au fonctionnement du service concédé à un moment quelconque de l’exécution de la convention, il demeure un bien de retour (CE, 26 février 2016, SICUDEF, n° 384424). Par ailleurs, les parties disposent de la faculté de qualifier de biens de retour, par stipulation contractuelle, des biens qui n'apparaissent pas nécessaires mais seulement utiles à l'exploitation du service. Au terme du contrat, les biens de retour reviennent gratuitement à la personne publique concédante. L’ensemble de ces principes a été récemment rappelé par le Conseil d’Etat (CE, 27 janvier 2020, Toulouse Métropole, n° 422104).
En l'espèce, le juge a considéré "que les fonds photographique et documentaire dont la propriété est revendiquée par la commune de Toulouse ont été constitués pour les besoins de l'exploitation du musée de la photographie établi au sein de la galerie du Château d'eau, et notamment aux fins de réaliser des expositions ouvertes au public. Ils sont par suite nécessaires au fonctionnement de ce service public au sens des dispositions citées au point précédent. Il suit de là qu'ils constituent des biens de retour, qui sont et demeurent la propriété de la commune de Toulouse en vertu des mêmes dispositions".
Ces questions de qualification de contrat et de biens restent délicates à trancher et nul doute que la jurisprudence continuera d'éclairer régulièrement les praticiens pour limiter la surexposition au risque...
Autre article lié au risque d'exploitation pour une concession : https://charrel-avocats.com/actualite/marche-public-ou-concession-de-services-une-question-de-risque-reel-dexploitation